I. Ambiance Historique
Dans l'histoire
des missions Catholiques aux Îles du Pacifique, Mangareva tient une place
spéciale. Comparé à d'autres c'est peut-être un épisode secondaire mais
ce manque même d'envergure nous permet de mieux l'apprécier. Tandis que
Tahiti dans sa complexité conjure tout un monde, Mangareva c'est comme un
modèle réduit d’architecture ou, en chimie, une réaction observée au creux
d'une éprouvette. Sans cesser
d'être clair, l'épisode mangarevien s'avère essentiellement complexe. Le
Père Honoré Laval, dans ses Mémoires pour servir à l'histoire de Mangareva,[1]
a fourni au cours d'un siècle des arguments plausibles tant aux partisans
des missions qu'à leurs détracteurs. Ce texte
classique est factuel, détaillé, véridique même, sinon impartial. Il est
aussi d'accès suffisamment facile. Y a-t-il alors raison valide pour publier
cet autre manuscrit récemment mis au clair, ce journal d'un compagnon de
Laval, le Père Désiré Maigret qui, entre autres, rapporte tant d'événements
que Laval a déjà fait connaître? Laval,
quand il le veut, s'efface dans ses écrits. Après tout, c'est lui-même
qui présente dans un premier volume sur Mangareva païen un tableau détaillé
de cette civilisation dont son zèle même assura la destruction.[2] Mais un
second volume, Mangareva, ère chrétienne, c'est tout autre chose.
Ici, Laval se met vigoureusement au premier plan. Il écrit et décrit de
mémoire, loin des Gambier, à Tahiti où l'ont déporté les autorités coloniales
avec la connivence tacite des autorités religieuses. Exilé, Laval ne pense
qu'à ce Mangareva où il demande en vain à finir ses jours, cet archipel
dont il avait fait pour un moment, avec une poignée d'hommes aussi zélés
et têtus que lui-même, une espèce de paradis sur terre.[3] Les débuts
du récit de Laval ne manquent pas de grandeur. L'action s'étage sur la
verticale, comme jadis celle des Mystères du Moyen-Age, les îles suspendues
entre le Ciel et l'Enfer. Ainsi cet épisode où deux jeunes prêtres aux
abois, tapis dans les hautes herbes, écoutent s'avancer à grands cris les
rabatteurs païens. Connaîtront-ils cette gloire qui fut celle de leurs
prédécesseurs, ces martyrs dont ils avaient lu si avidement les vies au
séminaire?[4]
Dans la
suite du récit, cette sainte tension s'affaisse. Aussitôt l'évangélisation
accomplie, une civilisation ancienne cesse d'exister. Un ordre artificiel
prend sa place. Quoique la comparaison ne mette nullement en doute l’orthodoxie
si évidente de ces Messieurs, on pense un peu à Calvin et à son Genève vus
par le gros bout de la lorgnette. Mais cette
théocratie-là est vulnérable. Les colons avides de butin s'en moquent,
les officiers coloniaux la dédaignent, eux qui, aux yeux de Laval, ne valent
guère mieux que des francs-maçons. Quant aux matelots, ils roulent ivres
parmi les catéchisés, loups forçant l’entrée au bercail. Cette guerre entre
les soutanes et les laïcs est une suite d'escarmouches mesquines. L'atmosphère
des débuts, cette verticale imposante des mystères, fait place à une horizontale,
la rampe d'un Guignol où des pantins s'agitent, divertissants si ce n'était
qu'on ne peut oublier que c'est cette petitesse même qui finit par briser
le cœur de Laval vieilli. Laval restera
d'ailleurs l'historien classique de l'épisode mangarevien. Ses mémoires
couvrent trente-sept années (1834-1871) tandis que le séjour de Maigret
aux Gambier ne dura que cinq ans (1835-1840). On ne peut penser à Laval
sans lui associer les Gambier. Dans ces îles, qui furent celles de sa première
mission, Maigret vécut un épisode de sa jeunesse. Son journal, qu'il tient
au courant jusqu'à 1880 reste un document d'importance surtout pour l’histoire
des Îles Hawaii. Mais même dans les limites voulues de ce volume—Maigret
et la Polynésie française—le journal est loin d'être un simple écho des
mémoires de Laval. Au séminaire,
Laval fit ses latinités. Il a lu Plutarque, ces Vies où l'historien
balance, avec quelque artifice, les bonnes et les mauvaises fortunes de
ses sujets. Composer son mémoire équivaut à raconter sa vie. Se rappelant
Plutarque, Laval donne aux faits juste le coup de pouce nécessaire pour
créer, lui aussi, une œuvre d'art. Sa propre vie, un parallèle à celle
de quelque Caesar? Ou plutôt, français qu'il est, l'exil à Tahiti serait-ce
un peu son Ste. Hélène! Laval écrivain
revit son drame, celui d'avoir été chassé du paradis privé qu'il s’était
taillé à grand effort au sein d'îles sauvages. Pour mieux souligner cette
injustice, pour mieux dénoncer les méchants qui n'entreront en scène qu'au
second acte, il incline à teinter les commencements du récit d'un rose idyllique.[5]
Comme historien
Laval a ses faiblesses. Pour les années du début, détaillées plus de trente
ans après les faits, dates et nombres seront un peu brouillés.[6] Le jeune
missionnaire Maigret, lui, n'a rien à démontrer. Son point de vue est de
n'en pas avoir. Sa tâche journalière accomplie, il écrit quelques lignes
à la fin de ce jour même, ce qui ne lui laisse guère loisir ou désir de
faire œuvre d'historien.[7] Pour l'historien
d'ailleurs, le journal ne manque pas d’intérêt. Une addition majeure au
récit de Laval est le témoignage oculaire de Maigret décrivant les auto-da-fe
d'idoles sur la grande île, conduits dans une atmosphère sauvage ressuscitant
des rites cannibalistiques si brutaux qu'ils déconcertèrent les missionnaires
eux-mêmes. Sur cet épisode inquiétant Laval ne peut que répéter des on-dit,
s'étant trouvé alors sur une autre île, Akamaru. Entre autres
épisodes auxquels Maigret participa et dont Laval fut absent est la seconde
mission que Msgr. Rouchouze envoie à Tahiti—Février 1837; le mouillage au
port de Honolulu où le Père Bachelot rejoignit Maigret à bord du Notre-Dame-de-Paix—Novembre
1837; le récit de l'agonie et de la mort de Bachelot en mer, dont Maigret
fut seul témoin, les sept mois—Novembre 1837—Juillet 1838—où Maigret, ermite
malgré lui sur l'île de Ponapé, s'occupe à construire de sa main une tombe
digne du premier Préfet Apostolique envoyé aux Îles du Pacifique. Les Gambier
que Maigret connut ne sont pas les Gambier de Laval. Débarquant avec un
second contingent de missionnaires huit mois après les premiers arrivés,
Maigret n'a pas vécu cette période héroïque que Laval, à bon droit, souligne.
Il regretta peut-être de n'avoir pas partagé ces saints dangers mais, l'eut-il
su, quand il laissa les Gambier pour Hawaii, il le fit en bon temps. Son
séjour effleure à peine la période bureaucratique où Laval et ses compagnons,
ayant transformé les insulaires en un troupeau docile, firent de leurs vœux
loi. Maigret ne connaîtra point du tout les petitesses à venir, procès
judiciaires, investigations des Résidents, rapports officiels de Commissaires
impériaux. Son départ en 1840 lui épargna d'avoir à jouer un rôle dans
beaucoup de scénarios médiocres. Plus tard, quand Maigret pense à ces îles
où commença son ministère, elles retiennent pour lui un caractère encore
sauvage et mystérieux. Non pas
que ce mystère fut respecté. Les idoles, taillées à cru dans des troncs
d'arbres, furent brûlées, les hauts lieux démantelés, leurs offrandes martelées
en poudre. Malgré tous ces efforts, la précédence du vrai Dieu, quoique
soulignée d'imposantes architectures, ne permettait guère de dénier la présence
d'autres dieux.[8] Les grands banians restaient debout,
dont Maigret sentait si fortement la puissance qu'il les comparait aux tours
gothiques de sa France lointaine. En vain Msgr. Rouchouze pulvérisait-il
à coups de marteau les beaux tas de corail dédiés aux idoles, d'autres tout
aussi beaux s'offraient par centaines aux creux des flots. Un prêtre païen
ayant été pris en flagrant délit officiant dans son temple, les tables de
ses autels furent brisées sur-le-champ. Mais, fait déconcertant pour ces
Messieurs, le prêtre s'en riait d'un rire bonhomme, à l'aise au milieu d'eux
comme il sied entre confrères.[9]
Maigret,
français formé dans un milieu strict de séminaire, au débarqué ouvre les
yeux sur un monde richement varié. Sa mission est de sauver les âmes, c'est
vrai, mais comment ne pas remarquer ces images d'Epinal en belles couleurs
que la nature des îles lui jette aux yeux. La mention, si discrète soit-elle,
de ces sujets non-pastoraux préfigure, pour ceux qui savent la fin de l'histoire,
les années mûres quand Maigret, devenu évêque in partibus infidelium
aux Îles Hawaii, parsèmera les dernières notes de son journal de mots et
de proverbes dans la langue Hawaiienne qui seuls peuvent traduire sa pensée.
De nouveaux venus alors murmureront que Monseigneur a cédé aux influences
indigènes peut-être plus qu'il n'est discret! A traduire
un texte d'une langue européenne à l'autre, toutes deux conscientes du latin,
que d'impasses rencontrées, de sens extravasés, de quiproquos. Transposer
un texte européen dans une langue sans ce passé classique présente un des
pires problèmes qui soient. Aux îles
du Pacifique nos missionnaires n'eurent d'autre choix que de tenter cet
impossible. Leur français, fortifié qu'il était de latin de missel, s'articulait
droit au but. La langue des insulaires, elle, dédaignant la ligne droite,
préférait les approches hélicoïdes, appris des céphalopodes et des remous
marins. Au débarqué
il fallut se hâter de maîtriser cette langue difficile. En effet, suivant
l'avis du pieux Andrès Caro, leur conseiller en ces matières, les Pères,
avant de pouvoir s'exprimer dans le vernaculaire, devaient limiter leurs
efforts aux baptêmes d'enfants en danger de mort! Plus tard,
se rappelant ces premiers prêches, Laval s'en amuse comme de balbutiements
enfantins. S'ils ont porté fruits, alors c'est bien parce que le Saint-Esprit
s'en est mêlé! Laval vieux sait plus de mille façons d'énoncer en mangarevien
la vérité la plus simple, dix-huit mille quarante-huit façons pour être
exact.[10] Dans la comptine
si touchante dans sa simplicité que le Père Caret composa pour ses écoliers,
Laval relève une erreur colossale : mangarevien
traduction E
Atua ko tahi noti
Il n'y a qu’un Dieu E
toru mea Akua
Il y a trois personnes en Dieu. Ça,
c'est ce que le Père Caret a voulu dire mais, dans sa hâte, il s'est servi
de notes du Père Bachelot sur une langue-sœur, celle des îles Sandwich.
En hawaiien, mea akua veut dire “nature divine” ou “personne divine,”
mais en mangarevien mea c'est un diminutif. En fait ce que les enfants
fredonnaient de tout cœur c'était plutôt : Il
n'y a qu'un grand Dieu Mais
il y a trois petits dieux![11]
Les protestants
eurent leurs raisons quand ils introduisirent dans le langage des îles le
terme hébraïsant Jéhova pour exprimer ce concept nouveau du vrai
Dieu, du seul Dieu. Les catholiques, eux, préférèrent détourner de son
sens authentique et multiple le terme akua. Même quand il est épelé
avec une capitale, c'est un mot pauvrement choisi pour signifier le vrai
Dieu. Un akua c'est un des habitants nombreux de cet archipel spirituel
qui flotte bien au-dessus de l'archipel physique qui est l'habitat des hommes.
De temps à autre ce monde s'abaisse de “l'haut-de-là” comme un nuage alourdi,
dévale aux flancs des monts jusqu'aux baies, se condense au-dessus des autels,
imprègne de mana les bosquets sacrés. L'akua c'est aussi
un être qui parle par la bouche des devins et des prophétesses; ou bien
peut être le héros, le mort immortalisé, et même dans certains cas le mort
revenu, le revenant. S'il s'attache à l’homme ce sera comme bienfaiteur,
farceur, ou malveillant.[12] Quand le
vrai Dieu fut baptisé Akua par ces Messieurs, les akuas locaux,
anonymes maintenant, s'effacèrent.[13]
Le vrai
Dieu était le Dieu unique, mais il devint bientôt évident que des légions
d'akuas, dans le sens authentique du terme, peuplaient aussi ce nouveau
ciel. A leur tête la Belle Dame, Notre-Dame de Paix, que les Pères logèrent
à Akamaru. Chacune des autres îles reçut son protecteur, plus puissant
même, était-il dit, que les vaisseaux de guerre qui, à ce moment-là, rodaient
autour des îles Marquises. Sur Mangareva descendit l'archange Saint Michel;
à Taravai vint Saint Gabriel archange; l'archange Saint Raphaël choisit
Aukena. En plus
chaque chrétien, et leur nombre augmentait, s'attacha au baptême un saint
patron. Les noms choisis furent des plus rares, décidés au hasard des dates
du calendrier ou pour servir le caprice d'un bienfaiteur de l'Ordre. Pour
les hommes, entre autres, Respicius, Cajetan, Hilarion, Chérémon, Tryphon.
Pour les femmes, Modvène, Olimpiade, Chrysante, Nymphe, Aldine. Tant de
saints et de saintes si longtemps délaissés furent de nouveau mis à la tâche.
Par surcroît,
comme des essaims de papillons roses, des anges joufflus s'échappaient des
chromos qui gonflaient les pages des missels de ces Messieurs. Là-haut
quelque confusion régnait. Certains malcontents rapportaient en sourdine
comment les akuas d'antan, surmontant la première épouvante qui les
avait fait fuir aux monts, retournaient discrètement aux baies, comme les
femmes et les filles, aux temps anciens, chaque fois qu'un navire étranger
levait l'ancre.[14]
Détruites
les idoles, des images d'abord, puis des statues ensuite, prirent leurs
places. Nés catholiques, théologiens par surcroît, nos missionnaires eussent
été scandalisés à l'idée que quelque affinité pût se faire jour entre les
rites de l’idolâtrie bannie et ceux du culte des images. Et pourtant, sur
ce point, quoiqu'ils ne s'en rendissent guère compte, ces Messieurs ne se
trouvaient pas sur un terrain aussi ferme que leurs confrères Calvinistes,
eux dont la maison de prière était dénudée comme une chambre d'hôpital avec,
pour tous attraits, des nattes, un podium et une Bible sans images. A Mangareva,
Mister Nobbs resta si peu de temps et se montra trop incertain pour presser
cet avantage, mais sur d'autres îles il en fut tout autrement.[15] Aux Gambier,
les baptisés introduits aux formes du culte nouveau observèrent la position
d'honneur donnée aux images près de l'autel, la génuflexion et les prières
qui étaient leur dû, les processions où le saint était porté, à ce qu'il
paraissait, en triomphe. Ces cérémonies n'étaient guère divergentes de
celles de leurs ancêtres.[16] Ces Messieurs eux-mêmes avaient observé de la
part des prêtres païens un même soin pour loger et honorer l'idole. N'auraient-ils
pas à leur tour dû se poser la question : les rites de cette religion dont
ils continuaient avec zèle à détruire les moindres traces, était-ce idolâtrie
ou culte des images? Si impatients
de l'hérésie que, pour se débarrasser d'un seul Protestant, Mister Nobbs,
ils agencèrent neuvaine sur neuvaine, les missionnaires si possible étaient
encore plus impatients et beaucoup plus impérieux quand ils s'affrontaient
aux croyances des idolâtres. A Taravai, un prêtre païen qui s'intéressait
à ces étranges confrères amorça une discussion avec les Pères Maigret et
Caret. Maigret remarque, "...le bonhomme voyait bien que nous n'avions
pas grand respect pour ses Dieux car Mr. Caret lui en montrait assez le
ridicule et la bêtise…” Ici, on peut regretter que l'avis discret du Père
Andrès Caro ne fut pas suivi par ceux qu'il était sensé instruire, "S'ils
vous questionnent concernant les cultes religieux qu'ils rendent à leurs
idoles, gardez-vous de les condamner avec précipitation..”[17]
Un dialogue établi sur une base de respect mutuel aurait pu résulter, pour
ces Messieurs, en une définition élargie du culte des images et en une leçon
d'humilité. En effet,
la petite hutte juchée haut sur la plate-forme du marae, qu'était-elle
sinon une invitation timide faite au dieu pour qu'il vienne se loger dans
cette Arche.[18] L'idole, qu'était-ce sinon une
perche sculptée où le dieu, si tel était son bon plaisir, allait se poser
et de laquelle, changés les augures, il pouvait s'envoler à son gré. Perches
aussi, quoique à très grande échelle, les koueriki, ces chênes centenaires
des bosquets sacrés. Conscients de leur atmosphère chargé de surnaturel,
ce fut à coups de hache que ces Messieurs crurent y combattre les dieux.[19]
Comme ce
fut le cas avec la flore et la faune locales, la présence prolongée de ces
étrangers intransigeants résulta en désastre pour l'écologie sacrée des
îles. Un doute dut assaillir les prêtres païens : ces visiteurs, manipulant
habilement les instruments d'une civilisation matérielle plus avancée que
la leur, n'étaient-ils pas néanmoins des barbares, confondant comme ils
le faisaient l'image avec la réalité, l'arbre avec l'empyrée, l'idole avec
le dieu?[20]
Aux parallèles
des rites, il faut ajouter ceux des dogmes, ou plutôt d'usages qui tous
s'ordonnent autour de cette réalité qu'est l'au-delà. Déjà mentionné est
le fait que les premiers efforts des missionnaires visaient à découvrir
et baptiser des enfants moribonds. Aussitôt mort, on enterre le petit cadavre
"à la mode de chez nous.” Du Paradis où elle est maintenant, cette
âme intercédera pour la conversion des païens.[21] Ces adultes,
ni bons marcheurs, ni bons grimpeurs, ni bons rameurs, traversant hors d'haleine
monts et baies et bras de mer pour, si par chance ils arrivaient à temps,
ondoyer un petit malade qui demain sera un petit cadavre, qu'en pouvaient
penser les insulaires? En fait,
entre eux et ces étrangers littéralement incompréhensibles, ces activités
en apparence incongrues créèrent un premier lien de compréhension. C'est
que les prêtres païens, eux aussi, soulignaient l'importance spirituelle
qui s'attache à la mort des tout-petits. Ils allaient même plus loin que
les chrétiens car ils agençaient d'importantes cérémonies en honneur de
ce que Laval appelle la divinisation d'un fœtus avorté; un fœtus, c'est-à-dire
ce morceau de chair humaine plus informe et pitoyable que même un enfant
mort-né.[22] Insulaires
et missionnaires s'accordaient à distinguer le corps mortel de l'âme immortelle.
Les détails divergeaient. A l'idée que chaque race se faisait de l'au-delà
correspondaient des modes funéraires distincts. L'insulaire,
lui, s'attachait au cadavre avec une intensité de nécrophile. Depuis les
premiers lavages et frottages, suivis de l'exposition publique et l'emmaillotage
dans des linceuls multiples, chaque phase de la décomposition était observée,
caressée presque. On désenmaillotait de temps à autre le mort de son cocon
de papyri pour s'assurer de ce que chaque stade vers le néant procédait
dans l’ordre préordonné. La putréfaction des chairs, la momification partielle,
la désarticulation des jointures, le séchage des os, de tout cela les vivants
étaient témoins. Rapetissé à chaque phase le volume du ballot funéraire,
il prenait enfin sa place au foyer, dans la case à coucher de la famille,
côte à côte avec les dormeurs.[23]
Cet intense
intérêt concernant la chimie de la mort n'impliquait nullement la négation
de l'âme mais soulignait deux sorts autonomes. Le corps restait chez soi.
L'âme, elle, partait au loin, protégée par quelque dieu ou déesse qui repayait
ainsi la pieuse observance des rites. Quoique guidée, l'âme devait user
d'un soin extrême en traversant la contrée du po uli, baignée dans
le bleu profond d'une nuit sans aurore. Si l’insulaire
apparaissait aux yeux des missionnaires un nécrophile, l'enterrement, ce
rite nouveau que ces Messieurs introduisirent comme un pas de plus vers
la civilisation, aux yeux neufs des insulaires, pouvait bien paraître le
fait de nécrophobes. Le décorum observé ne cachait pas le fait central
: avant même que les signes de la mort soient devenus insistants, on s'empressait
de cacher le cadavre dans une boîte et puis sous terre, avec sur la fosse
refermée une lourde dalle qui, entre le cadavre et les vivants, s'érigeait
comme une porte scellée. Ce qui se passait dans le cercueil il était tabou
de le mentionner et même d'y penser. Les symboles adoptés n'avaient rien
à voir avec la physique de la mort mais illustraient cette nouveauté, attrayante
en soi, que les missionnaires appelaient la résurrection, c'est-à-dire une
métamorphose précisément au rebours de cette dissolution des corps dont
les insulaires avaient été les spectateurs intéressés au long des générations.
L'introduction
soudaine de conceptions chrétiennes dans ce monde océanique posait des problèmes.
En pratique, il s'agissait d'énoncer des concepts neufs dans une langue
imparfaitement apprise, en termes que même des enfants et des sauvages pouvaient
comprendre.[24] Il fallait simplifier les dogmes et, pour le moment,
politiquement passer sous silence les plus scabreux. La résurrection que
ces Messieurs annonçaient menait droit au Paradis.[25] Prêcher
les articles de la foi était routine pour le missionnaire, mais ce qu'il
disait frappait les indigènes avec une force qui surprenait même le prêcheur.
Un jour, à Ponapé où il fut le tout premier missionnaire chrétien, dans
ce langage qu'il parlait pire que le mangarevien, le Père Maigret amorça,
pour intéresser un vieillard, quelque idée des peines éternelles. Le vieux
s'enfuit en hurlant. "Qu'est-ce qu'il lui prend,'' s'étonna Maigret.
"C'est un fou!"[26]
A Mangareva,
quand le temps vint de dérouler le panorama des dogmes dans sa totalité,
les insulaires durent restreindre les sentiments de joyeuse surprise avec
lesquels ils avaient accueilli l'annonce initiale d'une résurrection. Au
son de la trompette, cette conque marine des civilisés, l'Archange Saint
Michel, une balance de pharmacien à la main, allait peser chacune de nos
actions avec cette rigueur toute paternelle dont le Père Laval, dès ici-bas,
donnait à ses ouailles un avant-goût. Et les fulminations célestes promettaient
d'être encore plus sévères que celles du bon Père et de durer beaucoup plus
longtemps! Dès cette vie alors on agira avec réflexion, conscient du Ciel
et de l'Enfer comme l'est la mule du paysan de Coimpy de la carotte et du
gourdin.[27]
Ces signes
intérieurs d'une avance vers la civilisation furent suivis sans tarder de
signes extérieurs : “M. de La Tour trouva donc moyen de commencer des chapeaux
tressés...qui représentaient assez bien nos chapeaux de paille...” Peu
à peu, il passa à la coupe des pantalons et des robes. Puis à celle des
gilets, des redingotes et des habits à la 1830. Les femmes trouvèrent aussi
moyen de se faire des châles et des mouchoirs de cou, qui étaient alors
à la mode en Europe.[28]
L'instauration
du travail journalier ajouta à l'illusion d'être autre part que dans un
archipel de l'Océanie. Devenus casseurs de pierres, scieurs de long, charpentiers,
menuisiers et maçons, les hommes élevaient de beaux bâtiments en pierre
de taille et couvraient les îles de routes pavées. Pour les femmes, on
organisa des ateliers de filage et de tissage. Les Gambier devenaient presque
un mirage quelque peu déformé de cette France à laquelle ces Messieurs ne
cessaient guère de penser! Il serait
naïf de souligner l'absence, dans les mémoires de Laval aussi bien que dans
le journal de Maigret, de certaines tendances dont notre époque fait grand
cas mais qui ne pouvaient être ni devinées ni appréciées à l'époque. Pour
nous Vatican II rasa ou tout au moins amincit les partitions séculaires
dressées entre les églises chrétiennes. En 1830, si quelque avant-goût
du futur se fit jour parmi les théologiens, ce fut bien plutôt une prémonition
du triomphalisme qui prendra corps et substance en 1871 avec la proclamation
du dogme de l'infaillibilité. Peut-on alors s'étonner et encore moins se
scandaliser de voir nos missionnaires s'attaquer avec une égale ferveur
au Diable, à ses diables, à Luther, à Calvin, et même au Congrégationaliste
Mister Nobbs, leur prédécesseur de quelques mois aux Gambier. Cette intransigeance
qui aujourd'hui nous est un irritant offrait en pratique un puissant levier
d'action. La stricte construction donnée au dictum "Hors de l'Eglise
point de salut" pour le mettre en pratique n'exigeait rien moins que
l'héroïsme. Harassés qu'ils étaient de travaux, ces Messieurs trouvaient
des forces supplémentaires, traversant monts et baies pour arriver au côté
d'un malade, si humble fut-il, un nouveau-né malformé, une vieille gâteuse,
ou même un cadavre encore chaud.[29]
A ces païens condamnés par leur état même de païens aux peines éternelles,
avec un peu d'eau au creux de la main on apportait, si par chance on arrivait
à temps, la joie sans fin! Le missionnaire
d'antan visa droit à l'âme. Au débarqué, la nudité des indigènes scandalisa
les nouveaux venus. Sans même attendre l'arrivée de Valparaiso d'un don
d'aunes de calicot, ils dirigèrent sur-le-champ la destruction d'arbres
à pain. De l'écorce on fit du tapa, le papier-étoffe des indigènes,
pour couvrir au plus tôt ces nudités peccamineuses. Ainsi modestement voilé,
l'insulaire voyait détruite une partie substantielle de ses provisions de
bouche.[30]
Avant l'arrivée
de ces Messieurs, le mangarevien, pêcheur et plongeur qu'il était, se sentait
également à l'aise soit en mer soit sur terre. Baptisé, ce corps habile,
maintenant empêtré dans son âme, cessera d'être amphibien. Si deux fillettes,
isolées sur une roche à marée haute se noient parce qu'elles refusent de
se mettre à nu pour nager au rivage, la remarque du missionnaire qui reçoit
la nouvelle est qu'elles ont mésentendu la règle du jeu.[31] Les éditeurs
des mémoires de Laval, Messieurs Newbury et O'Reilly, ont traité en détail
les activités si variées de la mission : l'économie des îles, les rapports
entre l'Eglise et l'Etat, la lignée royale, la situation démographique.
Le thème de l'art est représenté par l'architecture civique et religieuse
et par la poésie du Père Laval. Pour compléter
ce tableau, et quoique ce soit plutôt un négatif au crédit des missionnaires,
il faut cependant ajouter quelques remarques sur l'art indigène des îles,
considéré à notre époque comme l'un des sommets esthétiques de l'art polynésien.[32] Laissant
de côté les raisons pastorales, il serait par trop artificiel de nous indigner
du fait que les missionnaires n'admirèrent guère les idoles. On est en
1830, et ce n'est que vers la fin du siècle que Paul Gauguin prendra au
sérieux l'art de Tahiti et des îles Marquises. Même à cette date, cela
resta une excentricité isolée et mal vue. Il faut attendre l’aube de notre
siècle et les distorsions du cubisme pour que se fasse jour une appréciation
positive pour ce qu'on appelait, il n'y a pas encore si longtemps et bien
à faux, ''l'art nègre"! Ces Messieurs
n'étaient point prophètes. Enfants de leur époque, Laval et Maigret travaillaient
dur à propager, comme un indispensable accessoire de la vraie Foi, le goût
de ces bondieuseries médiocres dont notre génération saurait se passer.
Les missionnaires ne pouvaient s'expliquer l’entêtement de certains des
insulaires à n'embrasser le bon goût qu'avec prudence. L'art importé pour
illustrer la vraie doctrine, est-ce qu'il n'était pas d'une beauté ravissante,
par exemple cette image de la Belle Dame qui est aux Cieux, dont les roses
et les bleus célestes orientèrent tout un village vers la vraie Foi.[33]
Par contre,
et de toute évidence, est-ce que les sculptures païennes, elles, n'étaient
pas aussi laides qu'indécentes, leur nudité monstrueuse reflétant la laideur
même de Satan, ce tiaporo, père de tous les vices.[34] Il y a
cent cinquante ans ce raisonnement eut pu convaincre, mais pas aujourd'hui.
Les images qui conjuraient pour ces Messieurs des visions célestes n'étaient
que des copies de copies, les moins mauvaises de faibles pastiches de Raphaël
et de Murillo. Quant aux facettes les moins agréables de notre sainte religion,
cet art peureux les passe sous silence. Les plaies mêmes des martyrs, on
les a rougies si discrètement que, plutôt que du sang, c'est de la confiture.
Par contre,
la laideur des idoles aujourd'hui nous apparaît belle, d'une beauté que
rehausse encore plus la fadeur des plâtres coloriés qui, hélas, ornent aujourd’hui
comme hier nos églises de missions. Affaire de mode, dira-t-on. Et pourtant
est-ce qu'il n'y a pas un air de famille entre la terribilità de
Michel-Ange, déferlant sur le mur absidal de la Chapelle Sixtine, et cette
primitive terribilità des sculpteurs polynésiens. Loin de
la France, les missionnaires se rappelaient avec ferveur tant d'épisodes
et de héros de leur Histoire de France, et ce premier de tous, Saint Denis,
évêque et missionnaire. Dans l'acte de baptiser Clovis, n'avait-il pas
ajouté cette objurgation, "Adore ce que tu as brûlé et brûle ce que
tu as adoré!" Eux aussi étaient missionnaires en pays païen et s'apprêtaient
à baptiser un roi. A leur cas la première partie du dit du Saint Evêque
ne s'appliquait guère, mais la seconde promettait d'autant plus que ces
idoles, toutes de bois dur et bien sec, était déjà en forme de bûches.
De la bûche au bûcher il n'y avait qu'un pas à prendre. Maigret
dans ses notes journalières, s'en tient aux faits. Mais la note du 6 Juillet
1835, exceptionnellement, peut aussi s'entendre comme symbolique : "Dans
ce moment-ci on allume un bûcher pour les brûler tous ensemble [les faux
dieux] : on y mettra même les restes de celui qui a brûlé toute la nuit
devant notre cabane et qui a servi à faire chauffer les tisanes de Mr. Cyprien."
Monsieur
Cyprien, c'est Antoine Liausu, prêtre mais aussi médecin. En effet, il
a suivi à Paris les cours du fameux Docteur Récamier "dans le désir
de se rendre utile aux sauvages.” Dans le petit groupe de missionnaires
il représente la science, et c'est la Science qui sera, au cours du siècle,
le symbole de la civilisation et du progrès. Les idoles, elles, sont l'image
évidente de l'obscurantisme. La Science, représentée par les tisanes de
Monsieur Cyprien, juchée sur les cendres de l'ignorance, quel tableau!
Entre le
jour où Maigret écrivait et l’aujourd’hui, les valeurs ont changé. Les
tisanes chaudes nous laissent froids. Par contre, on ne peut que déplorer
un zèle qui détruisit sans s'en soucier tant d'œuvres d'art qui feraient
aujourd'hui l'orgueil de nos musées. Il semble
bien que, dans le cas des Gambier, l'indigène passa docilement de l'appréciation
d'un art héroïque à celle d'un art fadasse. A moins que, comme il arriva
dans l'Amérique latine, les dévots du beau Saint Michel Archange terrassant
un Diable cornu ne trouvèrent bon de prier et l'un et l'autre, au cas où
les péripéties du corps-à-corps tourneraient. Le missionnaire
de 1830 suivit le goût de son époque. Le missionnaire du temps présent,
lui aussi, accepte l'esthétique à la mode, mais les vents ont tourné. Au
lieu de le dédaigner, il fera un effort sincère pour apprécier l'art des
indigènes à sa charge. Cela marque un progrès dans l'histoire du goût mais,
pour le missionnaire, cela aussi a ses inconvénients. S'il est logique,
cette attitude éclairée ne pourra que mettre un frein à son zèle, puisque
tout art valide enfonce ses racines au plus profond d'une culture et de
croyances que, dans ce cas, le rôle du missionnaire est de transformer.
II. Les Premiers Missionnaires à Mangareva Le journal
de Désiré Maigret s'ouvre d'une manière abrupte au jour—le 29 Octobre 1834—où
le trois-mâts la Delphine fait voile pour Valparaiso avec, à son
bord, un contingent de missionnaires désireux de s'établir en Polynésie.
Pour le
lecteur qui n'aurait pas sous la main les textes classiques concernant les
missions aux îles du Pacifique au début du XIXe Siècle, un résumé des faits
qui précédèrent ce départ peut constituer un utile avant-propos. Le Père
Coudrin, fondateur de la Congrégation des Pères des Sacrés-Cœurs, approuvée
en 1817, cherchait à ouvrir pour son ordre naissant un champ neuf de missions.
Il fut orienté dès l'abord vers la Polynésie par Jean Rives, un Gascon longtemps
résident aux îles Sandwich, un familier de la dynastie régnante des Kamehamehas.
Rives représentait Hawaii comme un avantageux centre d'action.[35] Accédant
au désir du P. Coudrin, Rome lui confia en 1825 l'évangélisation d'une portion
de la Polynésie. Un membre de l’ordre, le P. Alexis Bachelot, nommé préfet
apostolique des îles Sandwich, fit voile pour y exercer son ministère.
Mais les choses avaient changé depuis le départ de Rives. Les missionnaires
de langue anglaise étaient maintenant si puissants qu'en fait le Calvinisme
était la religion d'état. Par deux fois le préfet apostolique essaya d'établir
sa mission. Déclaré officiellement persona non grata, par deux fois
il fut renvoyé, bien contre son gré, jusqu'en Californie, un exil qui devait
durer presque jusqu'au jour de sa mort en 1838.[36] Après cet
échec initial, un second plan, à la fois plus ambitieux et plus souple,
fut devisé. En 1833, la Congrégation recevait de Rome "la faculté
d'Evangéliser toutes les îles de l'Océan Pacifique; tant septentrional que
méridional, depuis l'île de Pâques inclusivement jusqu'aux îles de l'archipel
Roggewein...et depuis les îles Sandwich jusqu'au Tropique antarctique..."[37] Deux préfets devaient
se partager cet univers, nord et sud, sous l'autorité unique d'un vicaire
apostolique. Le vicariat fut confié au P. Jérôme Etienne Rouchouze, consacré
à Rome à cette occasion Evêque in partibus de Nilopolis. Mgr. de
Nilopolis ne pouvait prétendre s'attaquer de front aux hérétiques déjà installés
en force dans les meilleurs de ses domaines. La London Missionary Society
ressentait ouvertement ce projet d'intrusion des Papistes parmi des ouailles
si chèrement acquises. A cette date, ni la France ni l'Angleterre n'auraient
vu d'un bon œil une rivalité théologique envenimer la situation politique.
La Congrégation
des Pères des Sacrés-Cœurs n'était pas riche. Quand Mgr. de Nilopolis présenta
au P. Coudrin affectueusement surnommé le Bon Père, un premier contingent
de jeunes missionnaires, sans mettre la main à sa poche, vide sans doute,
le Bon Père les encouragea ainsi : "Allez, mes enfants, allez, la providence
aura soin de vous!"[38] Dans ces
conditions, une offre du Ministère de la Marine de passages gratuits sur
un navire de guerre aurait dû être tentante. Mais la discrétion suggérait
une entrée moins tapageuse dans cet immense domaine du Pacifique. Quatre
missionnaires en tout, à bord de la Sylphide, traversèrent l'Atlantique
et, contournant l'Amérique du Sud, passé le Cap Horn, débarquèrent au Chili,
terre catholique quoique d'une politique instable. Nulle destination fixe
n'était prévue après Valparaiso. La Providence et le hasard des escales
devaient décider de la destination finale. Mais où
aller? Les îles du vaste vicariat étaient entre les mains ou des protestants
ou des anthropophages. Aborder une île où les hérétiques étaient en force
c'était courir un sort semblable à celui du P. Bachelot, languissant à ce
moment même en exil. "...tout jeune missionnaire," écrit Laval,
"aimera toujours mieux courir la chance de périr ou de réussir au milieu
des sauvages."[39]
On était jeune. On se décida pour les anthropophages. Entre autres
possibilités l'île Pitcairn fut considérée, puis rejetée comme étant sous
le joug d'un prédicant, Mister Nobbs. Ce fut un capitaine au long cours,
Mauruc, qui suggéra les îles Gambier, avec peut-être un millier d'insulaires
visités de temps à autre par des trafiquants en nacre. Un vaisseau fut
trouvé. La Péruvienne laisserait ces Messieurs aux Gambier avant
de retourner à Tahiti. Le P. Chrysostome
Liausu, de faible santé, dut rester à Valparaiso. Les PP. François d'Assise
Caret et Honoré Laval, le frère Colomban Murphy, débarquèrent le 8 Août
1834 à Akamaru, l'une des quatre îles principales de cet archipel secondaire.
A bord,
le sept, puis à terre, le huit, on se frotta le nez avec les insulaires.
Laval les trouva sauvages mais beaux. Voici l'homme : "...quand il
marche, il est noble et fier, sa taille est magnifique. On prendrait son
tatouage pour un habit militaire.”[40] "Les femmes mises plus décemment avec leur
toga blanche s'approchaient timidement et disaient : ia ora na!"[41]
Hélas!
Celui dont la présence avait dissuadé les Pères d'évangéliser l'île Pitcairn,
Mister Nobbs, les avait précédés de quelques semaines aux Gambier. Bonhomme,
le prédicant invita ces Messieurs à partager sa case, déjà occupée par sa
femme, ses enfants et ses catéchistes. Tout cela c’était sous l'aile de
la London Missionary Society. On crut bon de décliner cette offre
par trop œcuménique.[42]
Afin que
la Ste. Vierge fit partir Mister Nobbs au plus tôt, ces Messieurs firent
neuvaine sur neuvaine et quarantaine après quarantaine.[43]
Fut-ce la ferveur de leurs prières ou le fait qu'à Pitcairn, où sa femme
était née, sa famille aurait du moins des pommes de terre assurées, le prédicant
partit bientôt, laissant le champ libre à ses confrères, les Papistes.
Plus tard, il se vantera, peut-être indûment, d'avoir été le premier à brûler
des idoles mangareviennes! Nobbs éliminé,
le trio se mit de tout cœur à la tâche. Après les soixante bouteilles de
vin de messe, leur plus précieuse possession c'était sans doute la case
d'outils divers dont l'Irlandais Murphy, par état maçon et charpentier,
savait si bien se servir. Pour le moment il montera la garde sur les bagages
tandis que les deux Pères iront d'île en île, en baleinière ou, à la mode
du pays, en radeau, en quête d'enfants mourants pour les baptiser.[44] Les missionnaires
s'installent à Aukena. L’île est petite mais hospitalière. Un plongeur
de nacre leur prête sa case. Comment ne pas soupirer après les austères
conforts du séminaire, murs blanchis à la chaux, chapelle aux dalles noires
et blanches balayées, savonnées, comme une bonne conscience. A Aukena,
sous l'estrade qui tient lieu de lit, sept ou huit petits cochons s'ébattent
aux têts de leur mère. "...la messe se dira, au pied de notre grand
lit et d'où souvent il nous faudra chasser les cochons, même au milieu du
Saint Sacrifice!” [45]
Un millier de rats assiègent un autre de leurs humbles trésors, un sac de
haricots secs. Maintenant c'est contre les rats qu'on fait neuvaine après
neuvaine.[46] Pour comble
le diable s'en mêle. La nuit, Laval voit des fantômes lumineux faisant
des gestes immodestes.[47]
L'île voisine,
Akamaru, s’avère également hospitalière. Un mois après leur arrivée les
Pères ont là une case "presque à l’Européenne, avec portes et croisées."
En plus une chapelle-école. C'est un édifice en feuilles de pandanus avec
un autel en roseaux. Alternant entre les deux îles ces Messieurs, une clochette
à la main, attirent des étudiants de tous les âges. En classe les insulaires
apprennent surtout l'alphabet et les nombres tandis que leurs professeurs
s'appliquent à surmonter les complexités de la langue mangarevienne. Idyllique
mais on se rend compte qu'on ne pourra faire rien de plus sans le bon vouloir
du roi, akariki ou chef suprême. Maputeoa réside à la grande île,
Mangareva. C'est un gars de seize ans, accoutumé dès l'enfance à ce qu'on
obéisse à ses caprices. Il a grandi dans l'ombre formidable de son oncle,
le régent Matua, son tuteur et pour bonne mesure grand-prêtre des idoles.
A leur insu, Caret et Laval vont se trouver coincés entre ces deux pouvoirs,
d'un côté le régent vieillissant qui voit son ascendant faiblir, et de l'autre
l'adolescent impatient de secouer cette trop longue tutelle. Une première
audience avec le roi fut courte. Couché sur sa natte, Maputeoa ne remua
même pas et renvoya les visiteurs avec un seul mot, "Aita!" un
négatif suggérant un manque absolu d’intérêt. Ses courtiers, bons courtiers
qu'ils sont, copieront sa froideur.[48]
Mais le
jeune roi est curieux. A Taravai, son île préférée, il assiste à une messe.
"...après que le célébrant eut versé le vin et l'eau dans le calice,
Maputeoa s’approcha du Père pour regarder dedans." Repoussé, le roi
boude. A un de ses gardes, il dit, “donnez-leur donc un coup de lance."[49] Mais c'est dit sans conviction.
Ce jour-là la mort d'un martyr ne sera pas le lot du Père Caret. Plus le
jeune roi fait la moue et plus le régent est tout sourires. Matua “voulut
voir notre crucifix, connaître le motif de cette mort sur une croix, et
se mit ensuite à tirer sur notre accordéon." [50]
Ce même accordéon dont Columban Murphy accompagne les hymnes aux jours de
fête. Pour y
passer la nuit, Matua offre aux nouveaux venus la grande case communale,
si vaste qu'ils la prennent pour un temple. Des sculptures y font fonction
de piliers, portraits d'ancêtres plutôt que de dieux, mais pour les Pères
ce sont tous des diables. Cette nuit-là les missionnaires ne sont pas seuls.
Couché sur une natte voisine est un cocon géant. C'est la momie du père
de Matua, emmaillotée de plus de linceuls qu'un pharaon ne compte de cercueils.[51] Les aventures
ne manquent pas. L'un de ces premiers jours, quand ils ne savaient rien
de la langue, les Pères crurent se sentir en danger aux abords d'un village.
A quatre pattes ils se cachèrent derrière de hautes touffes de roseaux.
Soudain, cris, bonds, contorsions, et les sauvages de mettre la torche à
ces roseaux mêmes. Du mieux qu'ils peuvent, les Pères grimpent au flanc
de la montagne. Egratignés par les branches, ils dégringolent sur l'autre
flanc. Un blanc, capitaine de vaisseau, les hisse à son bord. A Aukena,
home at last, Columban Murphy les reçoit en philosophe, "Je
vous croyais déjà tués…et peut-être aussi mangés”.[52] Second
événement. Un trafiquant en nacre importe ses plongeurs d'un autre archipel,
les Paumotus. Leur chef est Long Bill, un américain qui tient du pirate.
Ils pillent et, quant ils en ont la chance, violent. Les plaintes se changent
en colère. Le régent Matua met ses nouveaux amis à l'épreuve. "Allez
donc dire à ces gens-là de retourner ce qu'ils nous ont volé." Comme
les Sabines entre les Sabins et les Romains, les Pères s'interposent. Une
trêve est arrangée qui dégénère, hélas, en bataille. Les deux Pères tiennent
ferme au milieu de la bagarre entre voleurs et volés. A coups de lances
leurs futures ouailles font fuir les intrus qui s'échappent dans leurs canots.
Mais Long Bill, resté en arrière, est fait prisonnier. Va-t-on le manger?
Long Bill le craint. Une autre trêve et l'américain est sauf. Il a appris
sa leçon; la paix est faite. Dorénavant les missionnaires ne seront plus
traités d'intrus. La baie de Kirimiro où l'incident a lieu, ils la baptisent
maintenant, avec un humble orgueil, la Baie du Combat.[53]
Le courage
des prêtres encourage Matua et décourage le roi. Il n'y avait pas de chapelle
encore à la grande île, Mangareva. Les Pères maintenant exigent qu'on leur
donne la case communale, qu'ils croient toujours être le temple des idoles.
On déboulonne les statues d'ancêtres et le roi, grommelant, les fait porter
chez lui. Matua fait de même avec la momie paternelle. Purifiée, la case
devenue chapelle est dédiée à l'archange St. Michel.[54] A Akamaru, à Aukena,
où l'on jouit du bon vouloir des habitants, les idoles sont jetées au feu.
Plus Matua
fait mousser ses nouveaux amis plus Maputeoa se fâche. Un messager royal,
pas diplomate, s'approche des prêtres, “Qu'arriverait-il si vous périssiez?"
“...la France (hélas! la France!..) enverrait un navire de guerre pour demander
à Maputeoa raison de sa conduite."[55] Le roi nourrit des pensées noires.
Ces Messieurs ne sont que trop conscients de son mauvais vouloir. Le coup
de lance esquissé trois mois auparavant pourrait bien devenir une réalité.
On en est
là quand le second contingent de missionnaires, Monseigneur Rouchouze à
leur tête, débarque le 9 mai 1835.[56]
Pour la suite de l'histoire, lire le journal de Désiré Maigret. [1] Laval, Honoré (ed.: C. W. Newbury et
P. O'Reilly): Mémoires pour servir à l'histoire de Mangareva ère chrétienne
1834—1871, Publications de la Société des Océanistes, No. 15, Musée
de l'Homme, Paris, 1968. [2] Laval, P. Honoré (ed.: Alfred Métraux
avec Maurice Desmedt): Mangareva, L'Histoire Ancienne d'un Peuple Polynésien,
Maison des Pères des Sacrés-Coeurs, Braine-Le-Comte/Librairie Orientale
Paul Geuthner, Paris, 1938. [3] "…notre petite mission était parvenue
à nous retracer l'innocence du paradis terrestre..." Laval Mémoires,
p. 218. [4] Laval Mémoires, pp. 36 s. [5] "Sous ses bosquets d'arbres à
pain, de hauts cocotiers, de bananiers et d'orangers naissants, notre
population était vraiment des plus aimables...Que de candeur dans cette
âme et sur son front! Alors ont disparu l'oeil impur et le désir audacieux!”
Laval Mémoires, pp. 204 s. [6] Dans l'épisode du combat entre Mangareviens
et Paumotus, le nombre des ennemis, de vingt-six qu'ils étaient dans un
rapport du temps, est devenu quatre-vingt-six dans la version finale.
Laval Mémoires, p. 89, n. 5. [7] La note du 22 Juin 1836 mentionne l'heure:
"Pierre n'est pas encore de retour. Mr. Caret m'écrit de la baie
St. Michel…Voici Pierre qui arrive—il est 10h. du soir. Mgr. m'écrit."
[8] Maigret officie dans les chapelles
en roseaux et couvertes de chaume qui précédèrent les édifices en pierre
de taille. Ceux-ci ne seront terminés qu'après son départ, mais il collabore
aux étapes préparatoires, elles-mêmes impressionnantes. En Août 1838
Dumont d'Urville a vu à Aukena "le devant de la maison de l'évêque…transformé
en atelier où des tailleurs de pierre et des scieurs de long préparaient
des matériaux pour construire une église." À Mangareva, "un
immense four à chaux...qui doit produire la chaux nécessaire à la construction
de l'église projetée," Laval Mémoires, pp. CXXVI, CXXVIII.
[9] La description des banians et l'épisode
du temple, journal, note du 1 juillet 1835. [10] Laval Mémoires, p. LVI. [11] Laval Mémoires, p. 54. [12] Le Capitaine Cook n'était guère un
linguiste lui qui, aux îles Sandwich, se laissa prendre au lacet de ce
terme akua, dont ses hôtes, poliment, l'avaient affublé. Se sachant
dieu il se crut tout permis. La mort le détrompa. [13] "...nous rencontrons le grand
prêtre de l'île...On lui demande où sont ses Dieux; il répond en riant
qu'il n'en sait rien, que les missionnaires les chassent de partout…",
journal, note du 1 juillet 1835. [14] Laval Mémoires, pp. 169 s.,
mentionne en termes gardés un renouveau de paganisme, ca. 1838. [15] Aux îles Sandwich, sous l'influence
Calviniste, les idoles avaient été mises hors la loi. Quand le premier
missionnaire catholique, Alexis Bachelot, s’apprêta à débarquer serrant
sur sa poitrine une statuette de Notre-Dame de Paix, cet acte constitua
évidence légale que les nouveaux venus adoraient des idoles. [16] Laval décrit une cérémonie païenne:
"Une sorte de procession avait lieu en l'honneur de la déesse Toa-te-kurio...la
statue était portée sur les bras d'un taura [prêtre], tandis qu'un
autre, une lance à la main, ouvrait la marche…La foule, un roseau à la
main, se pressait à droite et à gauche et à la suite de la déesse...On
chantait alors: 'Tera uta tera tai! tera uta tera tai!...," Laval
Mangareva, pp. 327 s. [17] Journal, note du 1 Juillet 1835,
Laval Mémoires, p. 639, no. 18. [18] Cérémonies observées pour offrir
une nouvelle demeure à un dieu: "Le deuxième jour, de minuit à l'aube,
le pu ou conque marine retentissait sur le ton le plus solennel
possible…On eût dit qu'il imitait les gémissements d'une longue attente...Les
païens se figuraient qu'il [le pu] appelait leur dieu Tu, qu'il
allait le chercher et qu'il l'accompagnait dans sa descente sur le marae,"
Laval Mangareva, p. 323. [19] "...arbres dont les rejetons,
d'une taille énorme, étaient encore debout à l'époque où le christianisme
les a fait abattre pour construire nos églises et pour enlever à ce peuple
jusqu'au souvenir de ces antiques centres de leur culte idolâtre,"'
Laval Mangareva, p. 6. [20] Un fait parallèle: Capitaine Cook,
aux îles Sandwich, demandant du bois de chauffage et se scandalisant de
recevoir, de la main même des prêtres, un lot d'idoles périmées. [21] Laval décrit le premier baptême:
"La petite Maria ne survécut que deux jours à son baptême,
et elle fut enterrée le 18 [Août 1834] avec toutes les cérémonies de l'Église...C'était
sur cette tombe, aux pieds de la croix de ce petit ange, que les missionnaires
venaient ensuite réciter leur bréviaire…”, Laval Mémoires, p. 25.
[22] L'acte central était l'entrônement
d'un devin qui rendait des oracles. Il y avait incidemment une transubstantion
d'eau de mer en sang. Laval remarque, "Ce changement de l'eau de
mer en sang m'a tout l'air d'une fameuse jonglerie," Laval Mangareva,
p. 334. Les cérémonies duraient cinq jours, Laval Mangareva, pp.
332—336. [23] Laval ethnographe, malgré son désir
d'objectivité, ne peut cacher sa répulsion: "Les taura-tao`i...vrais
croque-morts du pays...commençaient leur fonction dégoûtante...",
Laval Mangareva, p. 343. [24] Ces Messieurs n'étaient guère disciples
de Rousseau qui, lui, croyait le sauvage un modèle à suivre. Laval se
considère "...sur un sol étranger, dans une île lointaine, au milieu
d'un peuple groupé presqu'au dernier échelon de l'espèce humaine…",
Laval Mémoires, p. 60. [25] "Comment, disaient-ils, je reverrai
mon père, ma mère et ses aïeux, qui sont morts? et je les reverrai dans
le corps qu'ils avaient autrefois? Mais oui, disions-nous. Ils n'en
revenaient pas!" Laval Mémoires, p. 64. [26] "Cet après-diner j'ai parlé
des fins de l'homme à un vieillard après lui avoir parlé de la grandeur
de Dieu; il a été si effrayé que je n'ai pu le retenir; je m'en vais,
disait-il, je m'en vais. Un instant après les enfans sont venus auprès
de moi; Le vieillard a jeté au loin un cri qui a fait sauver les enfans,
il est venu près de ma demeure et a lancé une pierre contre mon poulailler
et s'est enfui. J'ignore la cause de tout cela," journal, note du
30 Janvier 1838. [27] "Jadis ils ne connaissaient
ni la récompense de la vertu, ni le châtiment du vice en l'autre vie;
mais une fois régénérés dans les eaux sanctifiantes du baptême, ils se
mirent à redouter le mal avec la punition du mal, et à souhaiter d'être
vertueux pour être récompensés dans le séjour des bienheureux," Laval
Mémoires, p. 140. [28] Laval Mémoires, p. 202. [29] Journal, note du 2 Juin 1835. [30] Laval, Honoré: lettre du 19 Janvier
1836, Annales de la Propagation de la Foi, vol. 10, No. LVI, Janvier
1838, pp. 163—186, p. 168: "J’insistais beaucoup sur l'obligation
de ne plus aller nus...mes paroles leur inspirèrent une grande ardeur
pour se fabriquer de la tappe .” Laval: lettre du 16 Janvier 1836,
op. cit., pp. 186—203, p. 192: "Ah! si un jour ils n'étaient
plus obligés de détruire, pour couvrir leur nudité, les arbres d'où dépend
leur existence, comme ils béniraient leur bienfaiteurs!" [31] Littéralement, ''Elles auraient dû
penser qu'à l'impossible nul n'est tenu," Laval Mémoires,
p. 204. [32] C'est un détail d'une sculpture mangarevienne
qui fut choisi pour servir de frontispice à une anthologie des arts de
toute la Polynésie; Dodd, Edward: The Ring of Fire, vol. I, Polynesian
Art, Dodd, Mead & Company, N.Y., 1967. [33] “…il arriva que le Père Caret ouvrit
son bréviaire...C'était à l'endroit où se trouvait une image de l'Assomption.
Ces gens voulurent savoir ce que c'était. Ce sont, répondit le Père Caret,
les yeux de Maria...et cette Maria, ajouta-t-il, est une
femme très bonne, qui maintenant est au ciel. Alors tout le monde voulut
voir et contempler les yeux de cette femme si bonne et qui était au ciel.
Les hommes voulaient que leurs femmes et leurs filles vissent Maria.
Les mères la faisaient voir à leurs enfants. C'était un moment tout extraordinaire...”,
Laval Mémoires, p. 52. [34] "C 'étaient des statues grossières
faites à coup de haches, de la hauteur d'un homme et toutes horriblement
indécentes," journal, note du 29 Juillet 1835. [35] Quoiqu'il ait été tant soit peu maltraité
par les historiens, Rives n'exagérait ni ses relations intimes avec la
dynastie régnante ni son appréhension à voir les protestants prendre pied
dans l'archipel. Une lettre inédite, écrite en hawaiien par le roi Kamehameha
II, et conservée dans la Hawaii-Pacific Collection, University of Hawaii,
en fait foi: [36] Archives générales de la Congrégation
des Sacrés-Coeurs, Rome; Missions des Sacrés-Coeurs (Picpus), Lettres
lithographiées. I. 1827—1833: Lettre de M. Alexis Bachelot, 18 Décembre
1834. [37] Laval Mémoires, p. XVIII.
[38] Laval Mémoires, pp. XX, 3.
[39] Laval Mémoires, p. 6. [40] Laval Mémoires, p. 17. [41] Laval Mémoires, p. 20. [42] Laval Mémoires, p. 16. [43] Laval Mémoires, pp. 72, 74.
[44] Le conseiller des missionnaires ce
fut fray Andrès Caro, un Franciscain avec quarante années d'expérience
dans les missions des Andes. Caro les avait hébergés durant leur séjour
à Valparaiso. [45] Laval Mémoires, p. 24. [46] Les indigènes, pour combattre ce
fléau, pendaient leurs provisions hors d'atteinte ou enfilaient sur des
trépieds des plaques horizontales que les rats ne pouvaient surmonter.
Laval Mangareva, pp. 282 s., a illustré deux de ces supports.
Voir aussi Hiroa, Te Rangi (Peter H. Buck): Ethnology of Mangareva,
Bernice P. Bishop Museum Bulletin 157, Published by the Museum, Honolulu,
1938, pp. 222 s. [47] Laval Mémoires, pp. 23 s.
Robert Lee Eskridge, dans son livre Manga Reva: The Forgotten Islands,
The Bobbs-Merrill Company, Indianapolis, 1931, décrit son séjour aux îles.
Dans ce mémoire, le chapitre V, traitant d'occurrences surnaturelles,
rapporte quelques expériences personnelles. Elles renforcent l'idée que
Laval ne fut pas dupe d'une simple illusion d'optique: [48] Laval Mémoires, p. 21. Un
épisode parallèle est la visite que l'amiral von Kotzebue fit au futur
Kamehameha II en 1816: [49] Laval Mémoires, p. 83. [50] Laval Mémoires, p. 83. [51] Laval Mémoires, p. 86. [52] Laval Mémoires, p. 42. Voir
aussi pp. 36—42. Comparer p. 70. [53] Laval Mémoires, pp. 85—90.
Citation paraphrasée. [54] Laval Mémoires, p. 92. [55] Laval Mémoires, p. 102. Première
citation paraphrasée. [56] Laval Mémoires, p. 104.
On croirait lire une description de la peinture murale d'Ingres intitulée
L’Âge d'Or!
Laval donne le 25 Août 1836 comme le jour où le roi Maputeoa fut baptisé,
Laval Mémoires, p. 137. Maigret entre la cérémonie dans son journal
au 5 Août.
Le journal contient bien des notes concernant ces tâches architecturales.
Il ne fallut rien moins qu'un vaisseau de guerre français braquant ses
canons sur la capitale pour rendre claire la distinction entre le culte
des images et l'idolâtrie.
Ces versions, publiées en France pour être distribuées et lues par des
âmes charitables, furent peut-être quelque peu embellies. Le sauvage
nu prêt à souffrir la faim pour conserver la décence est une image bien
faite pour toucher les coeurs et les bourses.
"De là [Hawaii] nous fîmes voile jusqu'ici [O`ahu]. Ton tuteur est
en larmes à l'idée de ce départ pour des terres lointaines. Comme les
paysans nous aiment!...Cinq jours nous fûmes en mer. Quant à celui-ci,
il ne cesse pas de dire du mal des missionnaires." (Ma traduction).
Celui-ci, c'est Rives qui paraphe sa propre signature au bas de ces lignes
que le Roi trace d'une main appliquée mais gauche. Sous la signature
de Rives un post-scriptum malicieux de la main du Roi, que Rives probablement
n'a jamais vu: "Luahine [c'est le surnom familier de Rives] dit que
les missionnaires mangent les petits enfants."
Datée du 17 Novembre 1823, la lettre est probablement adressée au jeune
frère du Roi, Kauikeaouli, âgé de neuf ans. Dix jours plus tard, Rives
à bord, Kamehameha II et sa reine font voile pour l'Angleterre et la mort.
Maigret a préservé, copié de sa main, l'original espagnol d'une longue
lettre du Père Caro à ce sujet. Pour la version française, voir Laval
Mémoires, pp. 637—640, p. 639, no. 22, 2: avant de connaître la
langue suffisamment pour prêcher, "Il faut se contenter de conférer
le baptême à l'article de la mort aux enfants."
"Après souper, Tom et moi, nous fumions une dernière cigarette…Tournant
la tête, Tom soudainement se figea. Suivant son regard j'aperçus dans
les ténèbres de noir velours de la case de cuisine le contour flou d'un
homme, plutôt d'un demi-homme, car l'image n'était qu'en buste...Pour
un temps qui nous parut sans fin nous l'observâmes. Soudain, d'un mouvement
plus vif que celui d'un poisson de la lagune il vint vers nous. Il semblait
tracé sur l'air en lignes blanches plutôt que lumineuses...Il nous encercla
d'un détour et s'effaça dans le jardin…", pp. 229 s. (Ma traduction).
"Après notre visite aux épouses du Roi [Kamehameha I] nous allâmes
visiter son fils...Aussitôt assuré des droits de succession le prince
reçut le nom de Liolio, c'est-à-dire, Chien de tous les Chiens, et c'est
ainsi qu'il se comporta...Liolio, grand, gras et nu; était couché sur
son estomac et c'est à peine s'il leva indolemment la tête pour regarder
ses visiteurs...", Kotzebue, Otto von: A Voyage of Discovery,
into the South Sea and Beering's Straits…, Da Capo Press, N.Y., 1967,
vol. I, p. 308. (Ma traduction).
Poussé par le dépit, von Kotzebue prend ses libertés avec la langue hawaiienne.
Le nom de son hôte n'est pas Liolio, Chien de tous les Chiens, mais bien
Ka-lani-nui-kua-liholiho-i-ke-kapu, c'est-à-dire: Le chef suprême dont
le dos émet un tabou rayonnant.