Un
des membres de notre Société est entré en possession d'une affiche originale,
proclamation rédigée en hawaiien et apposée à Honolulu, le dimanche 26
août 1849 par l'Amiral français Legoarant de Tromelin. Ce document, sans
doute une pièce unique, ne nous était connu jusqu'alors que par une traduction
anglaise. Nous sommes donc heureux d'en présenter à nos lecteurs un fac-similé
réduit, la traduction française due à l’obligeance du Dr Sam
Elbert, et un commentaire historique de M. Jean Charlot. Que ces deux
érudits, attachés à l'Université d’Hawaii, trouvent ici l'expression de
notre gratitude. Voici
d'abord la traduction de cette affiche : Un
malentendu s'étant élevé entre la France et Hawaii, résultat de
la non-observance d'un traité, le soussigné, Amiral de Tromelin,
est arrivé ici, plein de bonne volonté et d'amitié, dans l'espoir
d'aplanir ces difficultés. A cette fin, il a sollicité une audience
du Roi, accompagné de ses conseillers privés, afin d'examiner en
toute équité les raisons avancées par les deux côtés. Les ministres
du Roi se refusèrent à cette conférence, ces ministres dont les
actes arbitraires et anti-constitutionnels avaient déjà forcé les
consuls des grandes nations—France, États-Unis d’Amérique et Angleterre—à
se plaindre au Roi lui-même, le 13 décembre 1848. A la suite de
ce refus, le soussigné considéra comme de son devoir d'envoyer un
ultimatum. Il fut également rejeté par ces mêmes conseillers.
En conséquence, les forces françaises ont pris possession des installations
militaires du port. Le drapeau hawaiien continue néanmoins d'être
déployé, et continuera de l’être, le soussigné n'ayant aucune intention
d'occuper ou d'annexer ce pays. Il repartira aussitôt qu'on aura
accédé à ses justes demandes. Sa ferme intention est également
de protéger les intérêts de tous les étrangers, à quelque religion
ou à quelque nationalité qu'ils appartiennent. En ce qui concerne
les intérêts français, la convention signée par le capitaine Laplace,
l’année du Sauveur 1839, formera la base de nos relations avec ce
pays-ci. D'après les clauses de ce traité, la taxe prélevée sur
les marchandises françaises, de quelque nature qu'elles soient,
sera de cinq pour cent, en lieu de la taxe actuelle. Legoarant
de TROMELIN. Rear
Admiral. Auhea
outou E
KA POE HAWAII No
ta mea, ua hoopaapaa mamua ihonei to Farani me to Havaii no ta malama
ole i te Kuitahi, ua hele mai maanei ta mea i tatauia ta inoa malalo,
ta Ademirala de Tromelin, me ta manaolana no e hooponopono ia mea,
me ta oluolu a me te aloha; nolaila ua noi atu oia e halavai pu
me te’Lii nui a me tona poe tutatutamalu, i mea e hoatataia’i malaila
me ta oluolu na tumuolelo o na aoao elua. Ua hoole mai na Kuhina
o te’Lii, ta poe i hooleia mamua no ta latou hana paevaeva ana a
me te tumuole, e na Kanitele o na aina nui o Farani, o Amerika Huipuia,
a me Beritania, i ta la 13 o Dec. 1848, imua o te’Lii no. Nolaila,
o ta mea nona ta inoa i tatauia malalo, hai atu no oia ia latou
i tona manao hope; hoole hou mai no ua poe Kuhina nei. No ia mea,
ua laveia na mea kaua o teia ava e na mea itaita o Farani. E mau
no nae ta Hae Havaii i teia manava a mahope atu no. Aole manao
ta mea nona ka inoa i tatauia malalo e lave i ta aina, aole hoi
e noho totua; e haalele tote atu no te aeia mai na pono a pau ana
i noi atu ai. Paa nae tona manao e malama i na pono o na Haole
a pau o tela pule o teia pule, o tela aina o teia aina. Ma na mea
e pili ana i to Farani, o te Kuitahi i aeia i ta matahiiti [sic]
o ta Haku 1839, e Cap. Laplace, oia te tumuhna [sic] me teia
Aupuni, a e lite me te ano o ua Kuitahi la, elima hapa haneri no
ta utu Dute no na vaivai kalepa a pau mai Farani mai, e hooleiia
ma uta nei. Legoarant
de TROMELIN Rear
Admiral. La flotte
française qui arriva à Hawaii, en août 1849, comprenait deux frégates,
la Poursuivante et le Gassendi. Elle était commandée par
le contre-amiral Legoarant de Tromelin, dont le théâtre d'opération était
tout l'Océan Pacifique. Le consul de France à Honolulu était Guillaume-Patrice
Dillon. Il mit l’amiral au courant d'une situation ou des conflits administratifs
étaient envenimés par des inimitiés personnelles. Parmi
les questions en litige, entre la France et Hawaii, étaient les droits
de douane sur les vins et les cognacs français et la protection des missions
catholiques. Dans un pays colonisé d'abord par des missionnaires protestants,
ceux-ci, rêvant d'interdire l'usage des boissons alcooliques, avaient
suggéré au Roi une taxe prohibitive qui ne tenait pas compte des stipulations
d'un traité signé avec la France en 1846. La liberté du culte, légalement
établie depuis 1839, n'empêchait pas, en pratique, la minorité catholique
de se trouver désavantagée. Le Roi et ses ministres voyaient avec inquiétude
les progrès de la nouvelle religion et le succès de ses écoles. Un autre
point litigieux était le refus par la France—nous sommes à une époque
où le français était reconnu comme la langue diplomatique internationale—d'employer
l'anglais dans ses communications officielles avec Hawaii comme le faisait
les autres nations. Bien peu d'Hawaiiens étaient capables d'apprécier
et de traduire les finesses de la langue française; d'autre part, la France
manquait également d'experts pour écrire ou traduire la langue locale.
Un point
qui ne figure pas dans la correspondance officielle, au moins explicitement,
est que le consul Dillon, loin d'être à l'aise dans ce Paradis du Pacifique,
s'y considérait comme dans un insupportable exil. Sa rancœur en prenait
un tour personnel. Et ses rapports avec le ministre des Affaires étrangères,
Robert C. Wyllie, ne brillaient pas de la sérénité et de la courtoisie
qui devraient animer les relations d'un consul. A son
arrivée, de Tromelin demanda immédiatement audience du Roi. Celui-ci
se trouvait sur une autre île et les ministres n'osèrent fixer sans la
lui demander la date de l'entretien. De Tromelin, considérant cette situation
comme un affront, après avoir posé un ultimatum, débarqua ses marins.
Ils occupèrent le fort qui <<défendait>> Honolulu—un bâtiment
plus pittoresque qu’utile!—et démolirent ses quelques vieux canons. Aussitôt
après l'incident, le Ministère hawaiien des Affaires étrangères publia
la correspondance entre Wyllie et de Tromelin. Une référence directe
à l’affiche qui nous occupe existe dans une lettre du ministre Wyllie,
datée du Palais de Honolulu, le 27 août 1849 à midi : <<J'ai reçu
ordre du Roi de rappeler à l’Amiral, dans les termes les plus respectueux,
que Sa Majesté n'a pas consenti à la proclamation signée par l'Amiral,
abondamment affichée à travers la ville d'Honolulu, et qui se trouve encore
en place. En ce qui regarde ce texte, Sa Majesté réserve ses droits,
comme Roi d'un État souverain, reconnu par le traité du 26 mars 1846>>.
Une
note nous apprend que cette proclamation avait été affichée le dimanche
matin, 26 août 1849. De
Tromelin, qui savait bien que la France, en union avec l'Angleterre, avait
en effet reconnu Hawaii comme un État souverain, avait pris la précaution
de ne pas remplacer le drapeau d'Hawaii par le drapeau français pendant
sa courte occupation militaire du port. La correspondance
Wyllie-Tromelin, publiée en anglais, nous donne une version anglaise du
texte hawaiien. La traduction faite par le ministre Wyllie est excellente.
Cependant, il m'a paru préférable de traduire directement en français
le texte hawaiien, puisque le texte original avait été rédigé en français. Au moment
du départ de la flottille française, l’amiral de Tromelin envoya un aide
de camp à Wyllie lui offrant de se charger de faire parvenir sa correspondance
aux Amériques ou en Europe. La réponse de Wyllie fut aigre-douce : <<Le
Palais, Honolulu, 4 septembre 1849, à 2 heures et demie P. M.—<<Ayant
souffert ces derniers treize jours de la goutte, et d'avoir eu à traduire
un si grand nombre de documents en français, M. Wyllie regrette de n’être
pas en état de profiter de l'offre de l’Amiral>>. Le Dr
Ralph S. Kuykendall, l'auteur d'une histoire de Hawaii, m’a prêté les
originaux des documents dont je me suis servi. Ses recherches, dans les
collections de la Hawaiian Historical Society et dans les archives officielles
de Hawaii pour y découvrir un autre exemplaire de cette affiche ont été
vaines.
PROCLAMATION
ADRESSÉE AU PEUPLE HAWAIIEN
Bibliographie