Après l'apparition et l'explosion de ce pétard,
il y eut un silence de quelques mois pendant lequel Messieurs nos modernes
ne se demandèrent pas s'il s'était passé quelque chose. Aussi lorsqu'on
annonça le retour certain du jeune directeur de telle Revue, il y eut
foule au rendez-vous. On prépara de futuristes orchestres de bruiteurs
et de définitifs discours. Quelle rage, et quelle honte, lorsqu'au lieu
du "synthetic clown" qu'on espérait, descendit du train un garçon
discret et correct. Il enseigna à ses désillusionnés amis un portefeuille
bourré de photographies d'art[2]
italien et d'antiques, leur dit en souriant : que le
futurisme était bien démodé!! et rentra chez lui sans plus s'occuper
de soutenir une réputation jusque-là en si bon chemin. Il mit le comble
au discrédit dans lequel il était désormais tombé en exposant[3]
lorsqu'il en fut sollicité : un petit dessin de quelques centimètres carrés,
pas même cubiste, et en montrant, aux plus privilégiés, une aussi petite
toile, représentant, assurait-il, une montagne, et qui lui plaisait beaucoup
“parce qu'elle ressemblait à un morceau de foie." Quelques jours après il bourra d'échafaudages
le plus petit escalier de l'École Préparatoria (endroit où nul ne passe,
crainte de trébucher sur les marches, tant il est obscur), sur le tout,
cloua une paroi de planches hermétique et, ayant renvoyé à coups de pieds
et de poings les quelques journalistes et curieux qui s'y aventurèrent,
s'enferma, sérieux et têtu, dans ce cercueil volontaire. Pendant un silence de près d'une année, l'œuvre
a mûri. Son éloquence, grande pour tous, m'émeut aussi pour des raisons
privées, pour ce qu'elle raconte des luttes intimes, des perplexités aiguës
dont ont souffert jusqu'ici, de par fatalité chronologique, les peintres
de ma génération. Résumons cette situation : l'art[4] d'idéal quasi-photographique,
nos aînés (génération Diego Rivera) l'avaient rencontré régnant sans conteste,
ayant accaparé[5] les acheteurs. Le
battre en brèche, soutenir, par réaction, des théories qui lui étaient
absolument contraires, œuvrer dans ce sens et, à force de poigne
et d'audace, faire reculer l'adversaire et s’assurer renommée et du même
coup possibilité de vivre, telle fut leur œuvre. Seulement pareil à celui
des cavaliers novices qui prennent tant d'élan pour monter en selle qu'ils
sautent de l'autre côté et se retrouvent à pied, leur effort, trop absolu,
trop jacobin, dans sa soif de détruire l'ordre ancien, détruisit bon et
mauvais, et dans sa hâte d'édifier l’ordre nouveau,[6]
s'il sut trier les matériaux, ne les assembla pas toujours harmonieusement. Quand le jeune homme de l'âge de Siqueiros
entre en scène,[7]
la bataille est finie sans résultat visible. Il ne peut se porter avec
zèle d'un côté ou de l'autre comme font les bons[8]
qui aident les vaincus ou les marchands qui courent aux vainqueurs : il
n'y a ni champions ni vaincus.[9] Il faut examiner[10]
guidé par la seule raison. L'académique, dont la bannière porte peinte
une Vierge de Raphaël, se vante d'une tradition séculaire, d'émouvoir
par ses œuvres la foule et de lui inspirer des sentiments nobles par des
tableaux d'une lecture claire. Mais il ne sait plus peindre—il
ne sait plus les propriétés des lignes, et des couleurs. Dans son radotage
sénile, il a oublié la science de sa jeunesse. Le jeune homme se tourne alors vers l'autre
camp : il y trouve la science qui manque en face, de belles résolutions
d'algèbres plastiques. Les drapeaux de ce camp ne portent peinte nulle
figure humaine, mais des arabesques de couleurs et de lignes. De force
émotive et surtout descriptive, ces tableaux n'en ont pas plus qu'une
palette après l'usage. Et le jeune homme reste indécis. Le rôle
de ses aînés pour grand et noble qu'il soit, il le juge simple à côté
du sien. Quoi de plus normal, en effet, pour une âme enthousiaste, que
de partir en guerre contre l’ordre établi,[11]
adoptant le contre-pied exact des opinions ennemies. Mais pour lui, venu
après la guerre, l'enthousiasme serait anachronique. On lui a laissé,
comme rôle tout spécial, la liberté redoutable du choix. Problème quasi-insoluble dans lequel patauge
la jeunesse depuis 10 ans déjà, et que n'aurait pu résoudre—pas plus que
ne le peuvent ses compagnons d'Espagne, d'Italie et de France—Siqueiros,
s'il n'avait pas été Mexicain et si, pour des raisons, hélas! économiques,
il n'avait pas été obligé de retourner à Mexico. L'ingénieuse solution, bien malgré lui, il
la trouva ainsi : Il fut saisi fortement, dès son retour, par le caractère
original qui se dégage de l'archéologie et de l'ethnographie mexicaines,
soit des musées et de la vie de tous les jours. Les notions acquises
en Europe ne pouvaient servir absolument à rien parce qu'ici tout est
différent. Et il eut la grande sagesse d'oublier. Lui qui avait appris
avec cette grande soif de savoir qu'ont les jeunes qui avaient interrogé
avec humilité les anciens et pouvaient discourir savamment de leurs techniques
respectives, il oublia tout cela, et qu'il avait connu Picasso, et qu'il
avait adoré Masaccio : il sut renaître dans l'acception du terme, abolir
son passé. Il peignit peu et vécut beaucoup, mêlé étroitement à la vie
commune des plus humbles de ses compagnons, non comme observateur, mais
en frère, refusant énergiquement d'être le monsieur qui, au moment pathétique,
sort de sa poche carnet et crayon et "prend des notes" pour
une "œuvre" future. Il rompit des piñatas, s'agenouilla
aux églises, but, certes, tira des coups de revolver! et aux murs de sa
chambre n'accrocha que des photographies. Il fit de la politique, et
en toute sincérité d'âme examinant ce problème aigu du riche et du pauvre,
se rangea du côté du pauvre, par amour. Cette voie large fut voie circulaire et le
ramena à la peinture. Dans un pays où les 80% ne savent pas lire, la
peinture conserve en effet l'utilité de propageuse d'idées qui
la fit naître et durer au long des siècles. Il retrouva ainsi, chose
que tous avaient oubliée, l'utilité et finalité de l'art, comprit
qu'une peinture, comme une phrase, était bonne si elle exprimait, concise
et claire, une idée. Parce qu'il avait des idées à exprimer, il se
remit à peindre, sans aucune préoccupation accessoire. [12]L'œuvre, inachevée
encore, est déjà en bonne voie. En parler? Pourquoi dans un pays aussi
miraculeusement vierge de critique d'art introduire de mauvaises habitudes
: ces éloges techniques qui n'intéressent que les professionnels. A quoi
bon faire des comparaisons avec X et Y, grands peintres de l'autre côté
des mers. Si la peinture ne se soutient pas par des raisons ethniques,
tirées du pays même, elle est mauvaise, elle est comme un arbre, racines
coupées : elle meurt d'elle-même. Qu'on soit savant en histoire de l'art,
en connaissances des secrets et des règles du métier, je crois, pour juger,
qu'il faut oublier tout cela. La beauté d'une peinture n'est autre chose
que l'émotion qu'on en ressent. Or, cette peinture-ci émotionne. Elle
dit clairement ce qu'il faut dire. Ses exemples et ses conclusions sont
nés de la race et pour la race. Elle est donc belle, belle d’humilité
voulue et de simplicité sérieuse; elle est fruit de cette saine discipline
que s'imposa le peintre d'être homme plutôt qu'être homme célèbre
et de méditer avant de discourir. Aimant son pays et sa race, il met
sa main d'artiste au service des reconstructeurs de l’ordre nouveau avec
la même franchise que, pour la destruction de l’ordre ancien, il leur
offrit son poing de soldat. [1] Remplace : "classicisme”. [2] Rayé : clas[sique]. [3] Rayé : pour tout bagage d'Européen.
[4] Rayé : académique. néo-classique.
[5] Rayé : marchands. [6] Rayé : ne sut pas séparer. [7] Rayé : il trouve donc 2 camps opposés
en rang de bataille. [8] Remplace : nobles. [9] Remplace : Il n’y a ni vainqueurs,
ni vaincus. [10] Remplace : choisir. [11] Rayé : de détruire et de reconstruire [12] Remplace : et l'œuvre, inachevée
mais en bonne voie, est, dans son humilité voulue et sa
noble simplicité
sérieuse, preuve que sa volonté d’être homme avant d’être peintre
fruit de cette saine discipline qu'il s'imposa d'être homme avant d'être
peintre et de renoncer aux stériles ésotériques questions bavardages
de techniques et d'écoles pour vivre sainement, aimer son pays et sa race,
et mettre à leur service, simplement, son pinceau, comme il y avait déjà
mit son et les servir comme peintre comme il les avait déjà servis
comme soldat. Les servir, peintres, comme il les servit déjà comme soldat.
Il saura a su mettre comme peintre.