J'ai
été frappé, à mon arrivée à Mexico, du contraste entre la spiritualité
de la race indienne et la civilisation mécanique venue d'Europe
d'abord, des États-Unis maintenant. Entre ces deux civilisations, il
y a eu et il y a choc parce qu’elles sont incompatibles. L'une doit se
taire devant l'autre. Ici, la vaincue est la civilisation indienne.
Une telle "bataille" de races, considérée en soi, serait anecdotique.
Elle tire sa valeur de ce qu'elle n'est qu'une illustration de ce conflit
plus général qui existe entre la recherche du Beau et du bien d'un
côté, et celle de l'argent et du jouir[1]
de l'autre. Pour représenter plastiquement cela, il fallait choisir un
fait, non pour le représenter en soi, mais comme prétexte à énoncer ces
constatations. L'histoire fournit un événement qui, par ces lignes générales
comme par ses détails, s'adapte parfaitement à ce moule préconçu : le
massacre des seigneurs au cours d'une danse des fleurs, au Templo Mayor,
par Alvarado (relire P. Duran). L'écueil était qu'une reproduction purement
historique de ce fait en aurait affecté la signification symbolique.
Le spectateur satisfait dans ces connaissances archéologiques superficielles
n'aurait pas cherché plus profondément. J'ai donc, volontairement,
employé l’anachronisme, comme indication donnée au spectateur que le spectacle
représenté n'était pas réel, mais figuré d'un événement semblable sur
le plan intellectuel. La répartition des masses donne l'idée générale
: a)
répartition des masses : C'est un équilibre absolument instable
fournissant l'idée mouvement. L'accumulation des noirs en haut ajoute
à l’idée d'instabilité celle d'écrasement des deux masses "combattantes",
l'une est pénétrée par l'autre, très supérieure en volume, en vitesse
et en force. b)
Anachronismes et détails : Du côté des Mexicains les plumes d'autruche,
bijoux, fleurs, toutes choses sans défensive, fournissant l'idée d'intellectualisme
et d'esthétique. Les expressions psychologiques n'ont pas un rapport
direct avec l'action. Non plus les gestes. Cela culmine dans la jeune
fille (sans type ethnique) que pénètre une lance. L'invraisemblance de
sa tranquillité affirme bien qu'elle n'est là, non comme personnage vivant,
mais comme idée de douceur et de grâce. Identique invraisemblance de l'Indien
qui tient la légende explicative. La tristesse et l’effroi de certaines
figures se rapportent plutôt à l'état d'abjection de la race indienne
dans la suite des temps, que directement à l'action. Du côté "espagnol", si j'ai
choisi des armures rappelant celles du XIIIe s. (et non du
IXe siècle comme l'affirma un érudit en veine de gaffes!),
c'est que leur aspect fermé (j'ai supprimé jusqu’aux visières), métallique,
impersonnel, fournit mieux l'idée mécanique. J'ai voulu, non une réunion
d'hommes, mais quelque chose comme une locomotive en pleine vitesse.
Pour cela aussi, j'ai supprimé au maximum les détails humains (mains,
visages) ne laissant que l'indispensable à indiquer l'esprit de sauvagerie
qui anime cette masse. Le groupe des spectateurs sur la droite
est l'artifice ordinaire qu'employaient les artistes pour les visions
ou représentations symboliques. (cf. : Apocalypse d'Amiens). Ce mur a été exécuté tel qu'il a été
conçu. L'idée fondamentale qui l’anime, exprimée avec une telle intransigeance,
est peut-être injuste, mais la plastique ne se prête pas aux nuances.
[1] Remplace : entre le Beau et le bien
d’un côté, l’argent et le jouir de l’autre.