JEAN CHARLOT

Pierre Claudel[1]

 

Jai connu Jean Charlot lorsquil travaillait dans un vague entresol de la 57e rue, une pice troite et basse, o il touffait comme ses toiles dans le cadre de planchettes o il sefforait vainement de les enfermer.  Ces espaces que la vie lui refusait, son pinceau les crait autour de lui avec une telle science des volumes et des plans que lillusion tait complte.  On finissait par se sentir au large parmi les chssis o il nous recevait avec la bonne grce dun seigneur qui vous accueille au seuil dune enfilade de salons.  On respirait.  Jean Charlot avait mis les murs de sa prison bas.  Ils allaient bientt se venger. 

On dirait que toute lexistence de Charlot sest passe au pied dun mur.  Le mur tout dabord de ladversit, dune carrire difficile rduite se mansarder dans un monde qui lui refusait lair et le jour.  Et puis, derrire ce mur, derrire le mur de la ralit rugueuse treindre, tout de suite un autre mur.  Celui que Jean Charlot cherchait et qui fut le tremplin dune rputation dsormais tablie.  Ce mur nest autre que celui auquel notre il de citadin dsabus se heurte o quil se tourne.  Cest le mur, le mur de moellon et de brique, le mur en tant que tel, le mur de face, le mur qui barre la route, cest--dire, qui barre la route tout le monde sauf Jean Charlot.  Le mur avec lequel il faut se mesurer et non pas cette fois-ci pour le dmolir (Charlot ne perd jamais une occasion de nous dire ce quil pense de la perspective italienne et ce quil reproche cet gard la peinture impressionniste), mais pour sen servir dans ce quil offre de solide et dans ce quil prsente dinfranchissable–– et pour le glorifier. 

Jean Charlot navait pas plus tt chapp son cloisonnement new-yorkais quil donnait de la tte dans les murs dAthnes, mule ambitieux en Georgie de la ville illustre laquelle cette jeune capitale na pas craint de drober son nom.  Jean Charlot y respirait la bonne odeur dun enduit frais ; ce mlange de pouzzolane bien pass au sas et de vieille chaux teinte, dont ses narines se rgalaient.  Au contact de cet piderme doux comme une chair denfant, il allait se mettre au travail.  Et cest de cette besogne dont nous parle dans un livre passionnant crit avec humour et amour dans lenthousiasme de lartiste dont la Providence a combl lattente. 

Je ne sais pas pourquoi jai toujours pens que Jean Charlot aurait plaisir grimper ses tableaux.  Honneur et louanges la main librale qui lui procura un chafaudage et des chelles !  Charlot sinstalle dans cette charpente prcaire et face la rude muraille il commence.  La tche est difficile. 

Quest-ce quun mur ?  Une paroi verticale qui sert de sparation, de protection ou denceinte.  Une construction qui se suffit elle-mme et qui est trs belle en soi.  Le peintre de fresques ne doit jamais oublier, ni nous faire oublier que nous avons faire une surface plane, et que le mur qui sert de toile la composition appartient un ensemble architectural indestructible.  De tous temps les murs ont tent la main de lhomme.  Il sen approche dans sa promenade pour y tracer la craie ou au fusain une insulte ou une obscnit quelconque.  Il crayonne dessus la caricature dun adversaire ou dun ami.  Il y colle ses affiches.  Il veut savoir la tache que a ferait si on jetait dessus un seau dencre ou de sang.  Le mur, dans son esprit, cest fait pour raconter quelque chose et le publier au loin.  Cest un cran, un panneau publicitaire.  Cest une tribune et une gazette. 

Ce que le mur sur sa face extrieure raconte est en relation avec ce que nous lui confions dans lintimit et le secret sur son autre paroi ; quelle soit trempe de nos larmes ou livronne de tapisseries et de tableaux.  Dans nos prires comme dans nos rves, cest vers lui, vers ce mur, contra parietem, que nous nous tournons ou que nous basculons.  Et voici que tout ce que le mur a entendu lui est pass au travers du corps comme par endosmose et quil sest mis lhurler au-dehors !  Cest ainsi que la faade dun thtre ou dun cinma proclame en plein trafic dans un dchanement dՎlectricit tout ce qui se passe lintrieur, et que, dans lordre de la statuaire, la cathdrale gothique rvle au monde extrieur dans un alignement multiple la foule des rois et des patriarches, des anges et des dmons, des lus et des rprouvs, du peuple et du clerg qui se pressent lintrieur.  Il se passe l-dedans quelque chose de si beau et de si important que les murs se sont mis parler comme les chnes de Dodone.  Do limportance de la composition dans la peinture des murals.  La fresque a pour mission denseigner et de convaincre. Ft-ce sous sa forme allgorique elle doit parler un langage simple et populaire.  Elle sadresse, cest le cas de le dire, lhomme de la rue.  Et de moins que techniquement parlant elle nadmet ni les couleurs composes, ni les couleurs artificielles et quelle rejette le plus grand nombre des couleurs minrales pour ne se servir que des terres naturelles, il faut que son message soit direct et en quelque sorte primitif.  Conue lintrieur dune architecture, il faut quelle conserve quelque chose du poids et de la simplicit au sein de quoi elle est venue au monde.  Et cette fonction Jean Charlot la comprise mieux quaucun autre.  Il communique vritablement la pierre ce quil veut lui faire dire.  Il la catchise pour seffacer ensuite modestement devant elle.  Elle a une faon de rpondre ce quon attend delle qui le remplit dadmiration et de fiert.  Et luvre dpasse tellement son auteur au rel comme au figur, quil ny a plus moyen pour lui de la signer.  Jean Charlot a une vieille habitude de la pierre.  Il communie et sabouche avec elle comme Michel-Ange jadis couch tout de son long au flanc humide de la Sixtine.  Charlot sait de quoi son mur est fait.  Il en a relev minutieusement les dimensions et le site.  On dirait quil la construit.  Et il nous parle avec gnie du rle de la fresque, de son rapport avec le reste de lՎdifice, de ce quelle lui emprunte et de ce quelle lui ajoute. 

Et puis Jean Charlot, remercions-le, noublie jamais celui qui en fin de compte ce beau discours plastique est tenu.  Non pas seulement celui qui lՎcoute de ses deux oreilles bien ouvertes et la distance approprie.  Mais aussi celui qui se trouvant l pense autre chose, celui qui se prsente latralement notre attention et qui est sensible tout coup ce ramage de couleurs et de formes sur sa gauche hauteur de lՎpaule.  Son il distrait dcouvre ses lignes obliquement de tous les cts qui latteignent do quil vienne.  Et son regard alert sanime, sinquite.  Sa curiosit sՎveille.  Le voici qui regarde maintenant et ce quil dcouvre avec ravissement cest luvre dun trs grand artiste, luvre de Jean Charlot, qui est mon ami et qui je suis heureux de ddier ces quelques rflexions inspires par son beau livre.

Pierre Claudel

N.Y. 5 Mars 1945 

 

 

I knew Jean Charlot when he worked on 57th Street in a dubious flat, cramped and low ceilinged.  His brush conjured from all around the open spaces that life had denied with such a knowledge of bulk and planes that, the illusion perfected, one breathed at ease as he bid you enter alleys of stretchers, with the courteousness of a lord that urges his guests along a vista of reception halls. 

Jean Charlot having burst open the walls of his cell, they soon plotted a revenge.  Charlots whole life can be said to be lived at the foot of a wall.  The wall of adversity at first, that of an ingrate career that led him up an attic shorn of air and light.  And again, past this wall of a reality too rugged to embrace, another one forthwith.  Jean Charlot sought this second wall that became the springboard for a reputation secure today.  This wall is the very wall that closes upon the townsman wherever he turns.  It is the WALL, built of brick or quarry stone, the wall per se, confronting us, squatting astride our road, the wall that bars the way to all, that is to all but not to Jean Charlot.  To assert ourselves against this wall, we must not wreck it this time (Charlot scarce misses a chance to tell what he thinks of Italian perspective and the weakness it brought to Impressionism) but make it serve in what it offers of solid and in what in it is unscalable––and contribute to its apotheosis.

No sooner had Jean Charlot escaped from his New York pen than he butted headlong against the walls of Athens, bold Georgia rival to the illustrious city of which this youthful metropolis dared purloin the name.  There Jean Charlot feasted his nostrils on the good aroma of fresh mortar, blended of pozzolana and seasoned slaked lime.  As he caressed this epidermis as soft as infant flesh, he readied to the task, and makes us party to this job in a thrilling book written with humour and amour, with the enthusiasm of the artist whose long wait Providence has justified. 

It always strikes me, I know not why, that Jean Charlot should enjoy clambering up to his pictures.  Praise to the liberal hand that provided scaffold and ladders!  Charlot makes his abode in this precarious construction, faces the roughened wall, and settles to work. 

A wall is an upright screen meant as a divide, enclosure, or protection.  It is a self-sufficient architectonic member, very fair in itself.  The fresco painter must never forget or make us forget that we deal with a solid surface, that the wall that serves as ground to the composition connects with an indestructible architectural complex.  Walls have always dared mans hand.  He detours in his walk to mark them in chalk or charcoal with insults or smutty sayings, scribbles cartoons of friends and foes.  He plasters them with posters.  He yearns to know what form of splash a pailful of ink or of blood would contrive.  A wall, he opines, is fit to say things and to proclaim them afar.  It is a projection screen, a publicity panel, a pulpit, and a newssheet.

What a wall tells on its outer face depends on what we confide, in intimacy and secrecy, to its other side, bathed with our tears or lush with hangings and pictures.  In prayers, and in dreams as well, it is towards it, towards the wall, contra parietem, that we turn or stumble.  And it so happens that whatever it overhears oozes through its thickness by a sort of endosmosis, and that the wall busies itself retelling it outside with a scream!  In the same manner does the marquee of a theater or a movie house proclaim in the midst of rush traffic and gusts of electric lights all that goes on inside.  Or in the  realm of sculpture it is like a Gothic cathedral that marshals on its facade in tiered array kings and patriarchs, angels and devils, blessed and damned, to mimic the crowd of laity and clergy that jams its inner spaces.  What goes on in there is so beautiful and so substantial that it starts walls vaticinating as did the oaks of Dodona.  Anon the importance of composition in mural painting.  The mission of fresco is to teach and to convince.  Even if in allegorical form, it needs speak a simple folk language.  Its audience is in fact the man in the street, and it is not only on technical ground that it shuns blends and artificial pigments, rejects most mineral colors and confines itself to natural earths.  Its message need be blunt and primitive of a sort.  Conceived inside an architecture, it must preserve some of the features of weight and simplicity that mark the matrix that gave it birth.  Jean Charlot understands this function better than any one.  He truly awakes the stone to what needs be said, catechizes it, and afterwards modestly effaces himself.  The stone echoes his prompting in such a full measure as to fill him with awe and pride.  And how could he come to sign a work that surpasses by so much its maker?  Jean Charlot has a deep rooted habit of stone.  He communicates and communes with it as did of old Michelangelo, his full length supine against the damp flank of the Sistine.  Charlot understands what goes into the making of his wall.  He has surveyed with such minuteness[2] its dimensions and its site that he might as well be its builder.  And he speaks with genius of the role of fresco painting, its intercourse with the remainder of the structure from which it borrows and to which it adds.

And then again Jean Charlot, thanks to him, never forgets to what kind of man is addressed such a beautiful plastic discourse after all.  Not only to the one who hears with both ears wide open and from the correct distance.  But also to the one who, thinking perchance of something else, exposes himself sideways to our ministration, to become all of a sudden aware of a gush of forms and colors, leftwise and shoulder high.  His distracted eye gathers in the lines that, obliquely and from all sides at once, converge towards it from whichever side he comes.  By then alerted and awake, his sight inquires, his curiosity is whetted.  Now he looks and sees entranced the work of a very great artist––Jean Charlot, my friend––whose beautiful book inspires me to put down these few remarks.

Pierre Claudel

New York, March 5, 1945



[1] Jean Charlot met Pierre Claudel through his father Paul and became close friends of both.  Pierre Claudel wrote this appreciation in March 5, 1945, after receiving Charlots book Charlot Murals in Georgia, introduction by Lamar Dodd, photographs by Eugene Payor, commentaries by Jean Charlot, University of Georgia Press, Athens, 1945.  Charlot spoke of the article in the twenty-first interview, December 1, 1970, of Jean Charlot: Interviews with John Charlot:

[Pierre] has been kind enough to do some things for me.  One of them was writing a very interesting, I think rather important, appreciation of my work that was to be published in Liturgical Arts.  I dont remember exactly why Maurice Lavanoux had asked Pierre Claudel to write about me.  I have the text somewhere but when he gave it to Maurice Lavanoux, Lavanoux told Pierre that that isnt what he had in mind and that he wouldnt publish it, so Pierre gave me the text.  I was rather astonished that Maurice would refuse publication to a Claudel. 

Charlot transcribed Pierre Claudels manuscript and translated it into English. 

I thank Professor Marie-Jos Fassiotto, Dr. Janine Richardson, and Madame Marie Claudel for their help in editing.  Edited by John Charlot. 

[2] Original: minutiae.