Processional, the shadowed side, part 4

1926-1928

I[1]

Blanc bassin, seins alourdis,
masque et jambes fiers, poils ocres,
Ce corps de femme médiocre,
m’est un complot bien ourdi.

Mais m’est un bien plus cher chancre
Savoir de ce corps honni[2]
qu’un ange[3] en quarantaine y
sue en vain pour lever l’ancre.

Ame à âme, corps à corps,
nous nous goutâmes d’accord.
Méli-mélo, mélodrame.

La scorpionne et le scorpion
se sont pincés jusqu’à l’âme ;
il a fait dame, le pion.

1–26

II

Au jeu de mêler corps, âmes,
Débrouille bien l’écheveau.
Anges, cygnes, à la dame,
Aux messieurs gorets, chevaux.[4]

Nous, nos cerveaux chauds de fable
qu’affolaient ces[5] coeurs puceaux
ne surent qu’orner d’un râble
l’ange, et d’ailes les pourceaux.

Désintégrons ce Sciva—
Tes jambes, tes bras, Eva
rajuste-les à ton torse.

Trop tard. Nos cerveaux idems
nous “sœur-siamoisent” à force
Sur l’incongru d’un tandem.

1–26

III

De la connaître, j’ai peur
de désirer, comme un havre,
la solennelle impudeur
des enfants et des cadavres.

Seule, une odeur de tabac
m’en reste aux doigts, qui fut sienne,
et d’excuser les ébats
des veaux, vaches, chiens et chiennes.

Montreur, vos roquets savants
jouant des instruments à vent
font le beau. Tous s’en épatent.––

Mais ces bêtes dévoyées
préféreraient aboyer

à quatre pattes.

1–26[6]

IV

Coupe à mes soifs, os, poils, peau,
riche d’un cerveau bizarre,
mon bras coudé vous est arrhes[7]
du reste et tiède chapeau.

Yeux, nez, joues, j’en ai su
au tact la pulpe fruitée,
et de la lèvre effritée
maints goûts, bus dessous, dessus.

Jeans au plat, têtes foraines,
Vous n’êtes chef de ma reine.
Sa tête,[8] son corps l’entraîne.

Qu’elle claudique son train !
Seul, d’être au poignard écrin
la libérerait des Reins.

6–26

V

Venaison de luxe, nu
Votre inadresse m’étonne
corps d’elle ; en plus des cretonnes
quittez ces airs parvenus.

Taisez-vous, ne bougez point
Je n’aime en vous qu’un prestige.
n’êtes-vous[9] lys sur sa tige?
mais, las, que tôt l’aube point.

VI

Trop loin de vos rives douces
pour m’être moins qu’un tourment,
Seine, de juifs allemands
naquit cette fille rousse.

Ni l’indienne dure et douce
que je sus peindre en amant,
Ni l’enfant fraîche animant
maints panneaux de boîte à pouce

Quoique de plus belles chairs,
d’esprits plus hauts et plus clairs,
de cœurs chastes, de mœurs sages,

l’autre rose, l’une d’or
n’interposèrent d’image
entre mes yeux et son corps.

9–26

VII

La moitié de moi s’éloigne.
Qu’étêtée notre entité
sache être un mort entêté
dont les tronçons se rejoignent.

Au travers des Ku-Klux pâles
Nous sûmes nous unir plus
qu’au sein concave un fœtus
et que la femelle au mâle.

Vous résumerai-je dans
Vos jambes, vos hanches, vos dents
ou ce cou, beau comme un torse,

Non, car j’ai bu mon plaisir
dans ces yeux, d’y voir la Force
discipliner le Désir.

30–8–27

VIII
Sa peau.

De quels feux, don d’un Nessus,
toujours présents, quoiqu’allée
Peau, blet sachet d’azalée,
me gainâtes-vous en sus.

Que votre chair au boucher
et vous aux pieds seriez douces,
lèpre, phénix qui repousse
d’hors la fraîcheur du bûcher.[10]

Si ma raison vous limite,
mes reins, mon cœur ne l’imitent
Saouls d’avoir bu ce Vin neuf.

Nous sommes un. Seul, je sèche.
Rends, aumône, au dur, au veuf
noyau, ta chair, ton derme, pêche.

10–27

Mésaventure de F. G.

D’observer plus qu’aux limites
l’inconséquence d’un vœu,
Du jeune âne, reins en feu,
La logique[11] devint mythe.

Fou[12] d’impeccables manières
Il vécut si chaste et tant
qu’au crépuscule, un printemps
il viola sa cuisinière.

Cette histoire m’enchanta.
Sa morale me tenta
Souillon mienne, à vos mamelles

Allaiterai-je[13] mes maux.
Puisse attitude jumelle
Me valoir[14] destin jumeau.

12–26.

Pour mes 30 ans

Cette mie-vie[15] aux papilles
draine un goût des moins subtils
ma mémoire, ma pupille
mon sexe, qu’en surent-ils.

Dieu, ces pieds, cerveau, nez, cul,
trop laids pour qu’on les affiche,
ce corps qui peu s’articule
sont un prêt quelque peu chiche

l’Assimiler par la goule,
les humeurs qui me découlent,
m’étonnent incessamment

Soupçonnant futur semblable
j’emploierai dorénavant
ma chaise percée à table.

Chichen—27–3–27

Porte-fumet dont s’entêtent
chiens, chasseur, cheval, sous-bois
Cet holocauste en crin, Bête,
n’annihilera l’aboi

si laissant l’abri des hordes
pour l’ameutement des chiens
Au perpétuel nœud de corde
vous ne vouez vos jarrets joints.

6–28

Plus grand que cieux, mer, sable
Limitez ma raison
chaud, neigeux horizon
fleurant, compact, palpable.

L’esprit qui rue et flanche
en vous vaut plus que cent
soleils obéissants
Voici fini, Seigneur, l’entracte à mon échelle.

Le repos me fit adipeux.

Saurai-je encor m’empanacher, sauter en selle

Malgré que j’ai dormi un peu.


De la poussière, de la sueur, du tan, que sais-je

deux bras furent mon horizon ;

les tours dont me berçait le cheval du manège

m’avaient fait aimer ma prison.


C’était si doux, voyez-vous, d’avoir un autre être

pas plus beau, pas plus haut que moi,

avec ce même idéal pratique de paître

et de guider par l’émoi,


Avec cette peau fine si douce à l’épaule,

et même ma soif et ma faim

de découvrir d’entre cette humanité drôle

quelqu’un pour qui l’on soit la fin.


C’est que c’est douloureux de servir de passage,

qu’un cœur en chair soit corridor

que piétinent, vers des gens plus beaux ou moins sages,

les plus aimés, âmes et corps.


A vingt ans j’étais tout à Vous. C’est qu’à cet âge

on aurait honte à refuser ;

ce corps adolescent, cette âme fraîche et sage

Vous sûtes certes les user.


J’étais si bête alors et je n’en croyais goutte

malgré les dires et les yeux

et cette façon des filles de reprendre toute

leur offrande d’un même adieu.


Après dix ans voici que s’en va la dernière,

une longue patience à bout ;

ces yeux nouveau-nés, je les ouvris à la lumière

mais elle voulait un époux


J’attrapais des toux à l’attendre dans la rue,

des maux de tête à la rimer ;

Je l’instruisis dans des sciences peu concourues

et m’usais le cœur à l’aimer,


Et quant elle reposait entre mes bras, tendre,

qu’ils se faisaient suaves autour ;

sur son sommeil, elle qui tôt m’enverrait pendre,

de quels soins veillait mon amour.


Ce ne fut pas la plus aimante, ce fut certes

la plus aimée, aimée tant

que j’oubliais la certitude de sa perte,

et rêvais d’arrêter le temps...


L’homme à la femme ne se rend compréhensible

que par le geste, non les mots, [16]

et de ce feu nourri dont elle était la cible

j’eusse dû lui faire un marmot.


J’oubliais ce détail. J’en suis seul. Est-ce inique ?

Chère enfant vous eûtes raison,

et puisque Dieu m’a doué d’une sottise unique

on devrait me mettre en prison.


Soyez heureuse avec ce Monsieur : beau physique

et bon moral, m’écrivez-vous ;

Ayez un grand mariage avec de la musique,

des “Enfin seuls !” quelque peu fous,[17]


Et puis[18] divorcez, chère, et publiez vos rimes ;

ayez des amants, et près d’eux

ce masque de fausse jeunesse dont nous rîmes

quand nous étions jeunes tous deux.


Il n’en est pas moins vrai que vous me devez, femme,

tout cela qui en vous me plaît.

De tant bercer ce corps j’ai modelé cette âme

à mon identique reflet.


Vous ne pouvez plus m’échapper que dans la chute ;

tant qu’en vous un feu veillera

vous saurez qu’à moi vous deviez ce que vous fûtes,

à eux ce qu’il en deviendra ;


car bien plus qu’un amant suscite une maîtresse,

bien plus qu’une ourse son enfant,

ma fille, je vous ai créée par mes caresses,

et doint[19] ce profil triomphant.


Vous avez imité mes images de toile

avec votre corps de limon,

et ce n’est que selon que j’en ôtais les voiles

que le marbre épela son nom[20]


et surtout quand vous vous donnerez, belle exsangue,

si votre amour est plus qu’un rut

l’homme ne saura pas qui sépara la gangue

et qui tailla le diamant brut !


Tel Pygmalion de vers travestit son malaise

devant le socle délaissé,

penaud d’avoir, d’un dernier coup d’ébauchoir, glaise,

permis ta fuite au pied pressé.

23–7–28

Version Antérieure[21]

Voici fini, Seigneur, l’entracte à mon échelle ;

Le repos me fit adipeux.

Saurais-je encor m’empanacher, sauter en selle

après que j’ai dormi un peu.


De la poussière, de la sueur, du tan, que sai-je,

deux bras furent mon horizon ;

les tours dont me berçait le cheval de manège

m’avaient fait aimer ma prison.


C’était si doux, voyez-vous, d’avoir un autre être

pas plus beau, pas plus haut que moi

avec ce même ideal pratique de paître

et de se guider par l’émoi,


Avec cette peau fine, si douce à l’épaule,

et même ma soif et ma faim

de découvrir d’entre cette humanité drôle

quelqu’un pour qui l’on soit la fin.


C’est que c’est douloureux de servir de passage,

qu’un cœur en chair soit corridor

Qui voit filer vers des gens plus beaux ou moins sages,

les plus aimés, âmes et corps.


A vingt ans, j’étais tout à Vous. C’est qu’à cette âge

on ne saurait rien refuser ;

ce corps adolescent, cette âme, à quel servage

Vous sûtes, Seigneur, les plier.


J’étais si bête alors et je n’en croyais goutte

malgré les dires et les yeux

et cette façon des filles de reprendre toute

leur offrande d’un même adieu.


Après dix ans voici que s’en va la dernière,

une longue patience à bout ;

J’ouvris ses yeux nouveau-nés à bien des lumières

mais elle préfère un époux.


J’attrapais des toux à l’attendre dans la rue,

des maux de tête à la rimer,

Je l’instruisit dans des sciences peu concourues

et m’usait le cœur à l’aimer,


et quant entre mes bras elle reposait, tendre,

qu’ils se faisaient suaves autour ;

sur son sommeil, elle qui tôt m’enverrai pendre

de quels soins veillait mon amour.


Ce ne fut pas la plus belle, mais ce fut certes

la plus aimée. Je l’aimais tant,

j’en oubliais l’inévitable de sa perte

et songeais d’arrêter le temps ;


L’homme à la femme[22] ne se rend intelligible

que par les gestes, non les mots,

et de tout ce beau feu dont elle était la cible

j’eusse dû lui faire un marmot.


J’oubliais ce détail. Je suis seul. Est-ce inique?

Chère enfant vous eutes raison,

et puisque Dieu m’a doué d’une sottise unique

on devrait me mettre en prison.


Soyez heureuse avec ce Monsieur, beau physique

et bon moral, m’écrivez-vous,

Ayez un grand marriage avec de la musique,

des “Enfin seuls !” quelque peu fous,


Après, de beaux enfants, l’argent de vos dépenses,

un été, un automne heureux,

Soyez justes, pour qui si elle vous relance,

la mort ne vous voit pas peureux,


Ou bien divorcez, chère, et publiez vos rimes ;

Ayez des amants et près d’eux

Ce masque de fausse jeunesse dont nous rîmes

Quand nous étions jeunes tous deux.


Il n’en est pas moins vrai que vous me devez, femme

tout cela qui en vous me plait.

De tant bercer ce corps j’ai modelé cette âme

à mon identique reflet.


Vous ne pouvez plus m’échapper que dans la chute.

Tant qu’en vous un feu veillera

vous saurez qu’à moi vous devez ce que vous fûtes,

à eux ce qu’il en deviendra ;


Car bien plus qu’un amant suscite une maîtresse,

bien plus qu’une ourse son enfant,

ma fille, je vous ai créé par mes caresses,

et doint ce profil triomphant.


Vous avez imité mes images de toile

avec votre corps de limon,

et ce n’est que selon que j’en ôtais les voiles

que la statue apprit son nom !


et surtout quand vous vous donnerez, belle exsangue,

si votre amour est plus qu’un rut,

l’homme ne saura point qui sépara la gangue

et qui tailla le diamant brut.


Tel Pygmalion de vers travestit son malaise

devant le socle délaissé,

penaud d’avoir, d’un dernier coup d’ébauchoir, glaise

permis ta fuite au pas pressé.

7–28

Feins dormir mon chaperon
Mets ces corps jeunes à l’aise ;
qu’ils luttent, flairent, soupèse
le chaud, le ferme et le rond.

[ 1 ] Les cinq poèmes I–III, VII, et VIII, sont à comparer à “Poemas de Jean Charlot” dans Poèmes Choisis par Jean Charlot.

[ 2 ] Remplace : qui hennit.

[ 3 ] Remplace : âme.

[ 4 ] Rayé :

Or mon cas inextricable
tant agita les morceaux
que nos cerveaux chauds de fable
emplumèrent les pourceaux.

[ 5 ] Remplace : nos.

[ 6 ] Charlot a écrit sur le manuscrit : “les 3 1–26”.

[ 7 ] Manuscrit : ahrre. 

[ 8 ] Remplace : Malgré moi.

[ 9 ] Remplace : Je vous vois.

[10] Remplace : brasier. 

[11] Remplace : raison.

[12] Remplace  : Fier.

[13] Remplace : Apaiserai-je   Amuserai-je.

[14] Remplace : Mériter.

[15] Probablement un jeu de mot : mi-vie et ma mie, ou bien vie de miettes.

[16] Remplace : qu’orné de gestes, non de mots.

[17] Rayé :

Et puis de beaux gros enfants, l’argent de vos dépenses,

un été, un automne heureux ;

Soyez justes, pour que si elle vous relance

la mort ne vous voit [sic] pas peureux,

[18] Remplace : Ou bien.

[19] Ancienne forme du verbe donner.

[20] Remplace : que la statue appris [sic] son nom.

[21] Charlot a écrit ce poème après la rupture avec Anita Brenner. Il lui a envoyé cette version qui montre de légères différences d’avec la version finale (Charlot à Brenner, “I was since I received” [Harry Ransom Humanities Research Center, The University of Texas at Austin]) :

I was since I received your letter, occupied with the thought that we were not two only anymore. As always when I am very sad I wrote a little poem. I want to share it with you, first because you are the reason for it, 2o) because you asked me something in french. Technically the form is our most classical, so the “tour de phrase” and choice of words have to be of common use. Mentally, you must forgive a certain harshness, because I was suffering.

‘Depuis le reçu de ta lettre, j’ai été occupé par la pensée que nous ne sommes plus seulement deux. Et, comme toujours, quand je suis très triste, j’ai écrit un petit poème. Je veux le partager avec toi, premièrement parce que tu en es la raison, et deuxièmement, parce que tu m’as demandé quelque chose en français. Du point de vue technique, la forme est la plus classique, ainsi le tour de phrase et le choix des mots doivent être d’usage courant. Mentalement, je te prie d’en excuser une certaine dureté, parce que je souffrais.’


Nous reproduisons le manuscrit textuellement.

[22] Remplace : l’homme.