Seigneur, voici ma chair nue et malodorante,
Mon âme plus pauvre encore et verte d’ulcères,
Cette charogne, votre Amour puissant l’enserre
l’agrippe et la dédie entre vos mains orantes.
C’est vrai, mon cœur est clos et dur comme une pomme,
Ma paume adextre au mal, ma langue double et rêche ;
Voici le temps venu d’agenouiller aux crèches
ces genoux noirs de sang et cet orgueil de l’homme.
et pour vous recevoir (j’en ai loisir) ô Maître
je n’ai rien que quatre ais cloués : la bière ancienne
où se décomposait la chair patricienne
de tant de jours, de tant de rêves, prose ou mètre.
Je vous le donne pour compagnon ce cadavre.
C’est le seul don de ce seul bien que je possède,
Ayez pitié. Tâtez ces joues dont la peau cède
et ces mains non pas même jointes vers le havre.
Vous qui ressuscitiez, puant encor, Lazare,
vos baumes (je le sais) ne sont point d’empirique.
N’ayez cure de sa roideur cadavérique ;
Levez ce masque noir et ce torse bizarre.
Je vous la cède ô Dieu, cette litière étroite,
Couchez-vous. Je saurai seul fermer le couvercle ;
Mes vices réservés psalmodieront en cercle,
la haine allumera ses cierges sur la boîte.
Voici votre compagne à vos flancs, sur la couche
nuptiale. La chambre est puante ;
on heurte aux angles
de ce cercueil plus rêche aux chairs qu’un lit de sangles ;
Votre épouse elle n’a front ni ventre, œil ni bouche.
Le bois craque et s’écharde au feu de l’astre interne.
La bière éclate, ô Ravisseur, ta lèvre broie
ma bouche et sur mes os courent tes nerfs de proie.
ô mille ailes rosies aux cornes des lanternes.....
Orléans, mai 17
Il s’est passé depuis ce temps-là bien des choses
Ma paume a pris des calles, mon âme des plis,
ce temps-là j’endossais le burlesque surplis,
le poème est joyeux, mais lugubre la glose.
C’est la cruche au café,
le plancher qu’on arrose
la main gourde où les doigts serfs au balai se plient
les paquetages bleus, la roideur des châlits,
le fumier noir, la gourme au long des ladres roses.
Le sous-off crie. Un adjudant passe, cravache
au poing, panser des bourrins gros comme des vaches,
ou disputer un fond de gamelle aux copains,
Seul paradis : Se faufiler dans les latrines
Songeant, mélancolique, aux fils de pèr’rupins
guêtrés, monoclés, dactylos à la Marine !
Cercle du soldat, Orléans
Seigneur je voudrais simplement vous expliquer
ma pauvreté et que mon âme a grand’tristesse
D’agir veule et de n’être pas la bonne hôtesse,
(ouvrant à deux vantaux son gîte sur le quai)
Mais plutôt le mauvais riche aux vices toqués
(le diable tient la table, arrondi la maîtresse)
J’ai préféré au sang de vos plaies l’or des tresses,
Votre bure pour la soie je l’ai troquée.
J’ai sangloté vers Vous : C’était pure grimace
J’adhère au péché telle au tuf gras la limace ;
Assouvi de corps et d’esprit je dors en rond.
“Le serviteur n’est pas plus que le maître.” ô Face
exsangue, annulez ce cancer dont nous mourons ;
que votre volonté adorable se fasse.
18–1–18
infirmerie d’Orléans
(+ les 6 suivants)
Qui n’aperçoit la poutre en son œil, voit l’épeautre
dans celui du voisin ;
ô ramène ton châle
Sur tes yeux ;
Regarde ta pourriture, et chiale
comme Madeleine aux pieds lavés de l’Apôtre.
Hélas je ressemble à la fille où l’on se vautre,
(rouge aux lèvres, kohl aux cils) qui se pâme et râle
Et suppute (sournoise)
entre les bras du mâle,
Ce qu’il paiera sa chair savante, et pense à l’autre.
“Soyez pareils à de petits enfants......” Nourrice
Abreuvez mes désirs au sang de Votre Plaie
pour que mon désespoir entre vos bras mûrisse
ô Maître afin que semblable au bambin, je dorme
entre Vos Bras puissants qu’ont déchirés les claies
Tel l’oiselet lové
au creux velu de l’orme.
19–1–18
Me laisser tel au bec du volateur le chaume
Il est inerte et pourtant mis au lieu exact ;
Dieu a béni la mère oiselle qui pesa
Sa place au nid ;
L’épeautre au champ calciné chôme.
Me laisser, telle l’eau algide et creuse aux paumes
de l’ouvrier que le travail de Juin épuisa
L’eau souterraine est plus belle où nul ne puisa
Mais l’eau humble s’applique aux lèvres comme un baume.
Etre la glèbe rouge et meuble sous le soc,
la pierre dans la fronde et la chair sous le choc
du poing. “Mon bât est doux et ma charge légère.”
Je m’appâte de moi, tel le poisson happeur
du hameçon. Foulez comme un lit de fougères
Mon orgueil. Endormez à vos tétons ma peur.
21–1–18
Voyant la mère qui vaque aux soins de l’office,
L’enfant au bras, je souhaite, quiet en tes dessins,
d’apaiser ma douleur au creux de tes deux seins,
d’endormir ma mémoire entre tes bras, ô Fils !
Pourtant tu poursuivras ton internel office,
Tes bras crucifieront à ton martyr les Saints ;
ton poing varlopera, tumultueux essaim,
les copeaux écachés d’un monde encor novice.
Mais garde-moi contre ton Cœur, ô le travail
ne m’épouvante pas, mais le double vantail
De l’enfer, sur ceux qui marchent seuls se verrouille.
O garde-moi contre ton sein. Je dormirai
au cliquetis des brans où le sang giclé rouille,
et devant tout l’enfer assemblé, je rirai.
Le Seigneur dit : “Le lys ne file ni ne tisse
Pourtant il est vêtu de splendeur, plus que dans
sa gloire Salomon.” Foin des désirs pédants ;
Sied-il que mon orgueil sur la nue bâtisse.
Vois-tu que le petit de l’oiselle pâtisse ?
Le fils des hommes, seul grincera-t-il des dents.
Donc épanouis ta corolle. Dieu dedans
Pourvoira au pistil et au miel du calice.
Sois le vase tourné d’argile, pauvre et nu,
Inerte, il attend que le Maître soit venu
Pour que son bon plaisir (quel est-il) le remplisse ;
ou comme la fiancée humble, la fièvre au pouls,
Pure et docile, quand, poseuse de pelisse,
Elle attend, sans désir et sans crainte, l’époux.
21–1–18
A cette courtisane amazone, aux beaux cils
Chevauchant un poney balzan, qu’on mène à l’amble,
Mon âme pécheresse et perverse ressemble
Désireuse de stupre, et peinte de fards vils.
Elle surprend celui-là (au surcot de fil)
qu’elle aime. Elle l’entraîne au pied bleui d’un tremble
Sa lèvre rit puis son buste de désir tremble ;
Elle pleure : Sa chair tarée, en voudra-t-il ?
O mon âme voici la pauvreté suprême :
Il faut brûler ce que tu adorais. Tu aimes
Celui que nulle feinte et nul fard n’ont leurré.
Il sait ta sueur, la fièvre de tes aisselles ;
Reine, tu vis ceux-là à tes genoux, pleurer ;
Mieux vaut être chez Lui rinceuse de vaisselle.
21–1–18
O Seigneur j’ai pleuré. Votre poigne est si rude.
Elle vous secoue et vous ferraille à la gorge
Mon corps s’est révulsé sous le poids. Aussi tords-je
lamentablement mes bras ;
angoisseux prélude.
Ma demande presse et votre Force l’élude,
Je suis brisé plus que sous la dent l’épi d’orge ;
J’accepte. Mon cœur fut vaniteux et astorge,
mon humilité feinte et ma luxure prude.
Il faut peler, avant qu’on la mange, la pomme.
Saül dit : “A cause de vous, tous les jours, nous sommes
Assassinés comme brebis de boucherie.”
Mais je vous tiens, je vous agrippe en la tourmente
Et votre poing s’incruste à ma bouche qui crie..
Dors, mon cœur, comme aux doigts joints de l’époux l’amante.
Avant de quitter Orléans 27–1–18.
Endors-toi ma pensée, abolis-toi, mémoire,
Hier qu’en reste-t-il et demain qu’en sais-tu.
Tu cognes sur la pierre stable, ô bouc têtu
Ton crâne mou d’aveugle, que la sueur moire.
Tel le linge du mort qui embaume l’armoire,
Tel le souvenir d’un passé lourd de vertu
Repose inquiétude. Hors ces sentiers battus
Pourquoi jaunir ta barbe aux marges des grimoires.
Dépouille-toi. Livre ton corps nu au désir
de celui qui daigna mettre en toi son plaisir.
Dans la personne du pauvre Dieu même habite.
On fumera la terre maigre, non la Beauce.
Souviens-toi lorsqu’au soir la femme Moabite
S’endormit au creux du poitrail du riche Booz.
27–1–18
Au contact fort des cuirs, des crins et du métal,
Jarrets bardés, pieds ergotés, casques et crasse,
Dans le fumier, la boue et le soleil, ta race
s’affaissa, la poitrine ouverte, pour l’étal.
Tu ne voulus pas que la soie et le santal,
un doigté féminin, l’or, les ténèbres, brassent
ces chairs, que seule l’eau violente de la grâce
Rince drue, et décangue du roc l’or vital.
Et c’est pourquoi nous pourrissons dans ces baraques
où la pudeur, la piété, la pitié craquent
comme la paille au feu. Et c’est pourquoi voici
tant de beaux jeunes gens (parmi lesquels nous sommes)
marchant au feu l’air fier, et c’est pourquoi voici
Pourris dedans le tuf, tant de beaux jeunes hommes.
2–2–18
Camp de Retortat, près Sézanne
C.O.A.L.
Et c’est pourquoi voici tant de beaux jeunes vierges
qui auraient bien donné leur chair à d’autres, pris
par vos deux bras verveux jaillis du bois proscrit.
(que de mères qui pleurent au fumet
des cierges),
Car nous mîmes le poing aux coques des flamberges
Devant que de palper l’amour, ayant inscrit
au front ce vouloir de mourir sans pleurs ni cris,
Sereinement, comme l’eau meurt au creux des berges.
Et c est pourquoi voici tant de jeunes martyrs
Qui sont partis, sans qu’ils désirassent partir,
vers la demeure du Maître qui les enseigne....
Et c’est pourquoi voici tant de blonds anges, dont
la couronne est tressée et ceinte où du sang saigne,
et pour la terre tant de beaux jeunes pardons.
2–2–18
C’est pourquoi voici tant de beaux jeunes espoirs
Montés devant ta Face et pourris sous leur botte.
Nous portons sur nos dos humains la lourde hotte
Gonflée de ce siècle épouvantable à voir.
Ils vous ont renié. Nous resterons leurs hoirs
faute d’avoir vaincu palabres et parlottes,
rejeté leur travail émasculé de protes,
et battu notre orgueil à grands coups d’encensoirs.
Ils vous ont renié. C’est pourquoi nous, le casque
en tête, le cheval aux cuisses et le masque
prêt, nous avançons à grand’foulées vers
la tristesse de ces cadavres recouverts
de cadavres d’où dans la boue où nous bougeons
l’arbre du sacrifice éclate ses bourgeons !
4–2–18
Nous accumulions blasphèmes et sévices,
Sous prétexte de bon vouloir, nous enfoncions
dans vos paumes les clous, sourds aux pleurs de Sion.
Vous avez mis au Trou du cœur nos doigts novices.
Pour croire, il a fallu que nos prunelles vissent
vos douleurs, vos caillots et vos contractions.
Vous nous avez fleuris et liés pour l’onction,
L’autel fume ; Il est temps que votre Amour sévisse.
J’ai vu votre dos que le flagrum a plombé,
J’ai vu votre épaule où la croix lourde a tombé,
votre bouche où toute tristesse s’est empreinte.
C’est pourquoi je vous offre et ma vie et ma mort,
toute angoisse, toute grevance, toute étreinte,
et celui-là qui est plus que la mort, l’amour.
L’amour humble de notre pauvre cœur transi,
Vous qui avez bercé ses peines enfantines,
encore un coup, voici ouverte la sentine
de mon âme, et à nu son ténèbre ranci.
Vous nous avez ravis, tel le rapace, si
prompt. Seize ans passés, nous riions aux tétines ;
ô mon Aimé, pour vous que de jeunes piétinent
la boue et dormiront dans cette boue aussi.
Cocasse est notre amour, certes, et malhabile ;
pourtant substituons aux musiques labiles,
La prière des mains, des pieds et de l’effort.
C’est pourquoi dans un bruit de fouets et de charrettes
Ceux que vous nourrissiez hier du Pain des forts
l’essieu grinçant, foncent la route drue et drette.
4–2–18
L’Annonce.
I.
L’Ange s’incline et Marie, éblouie, tangue,
Il propose, Elle est prudente et vierge, mais
Dieu le veut. Elle voit son Fils. Elle connaît
Son deuil et le palper mat de ce Corps exsangue.
Elle opine. Docile et douce elle s’encangue ;
Martyre, c’est le sang qui fleurira ce mai,
(Depuis vos fils riront au réveil, qui dormaient
dans l’attente, l’Hostie accolée à leur langue).
Il y a deux mille ans que cette Annonce eut lieu
Dans une chaumine honnête que choisit Dieu.
Marie était pauvre et Dieu goûta ses prémices
plus que l’or, l’encens et la myrrhe, offre des rois.
Pour ce, confiants, casque en tête, selle aux cuisses,
Nous vous suivrons jusqu’aux Pieds saigneux de la Croix.
5–2–18
II.
C’est pourquoi casque en tête et troussequin aux fesses
Tous diseurs de sermons et diseurs de chansons,
tonneliers, bourreliers, poètes et maçons,
(tandis que prient là-bas, laïques et professes).
Conducteurs de chevaux que la galle rapièce,
trente mois ont sillé l’ornière où nous passons,
éperonnés, criards et roidis sur l’arçon,
Cahotant la prolonge, et l’affût, et la pièce.
Ô Vierge qui avez enfanté notre Ciel,
J’ai modelé pour Vous la sueur et le fiel
en cet encensoir fruste aux entrelacs de cuivre.
Je vous l’offre, ignorant de ce qu’il peut valoir.
Notre mort doit avoir son prix. Il fait bon vivre
quand on est jeune, aimant, simple et de bon vouloir.
5–2–18
Or nous avions rêvé d’une existence honnête,
l’homme dur à la tâche et bon diseur d’Ave ;
la femme qui saurait repasser et laver ;
deux sobres tâcherons à la conscience nette.
de tout petits riraient dans leurs barcelonnettes ;
votre Cœur, sur nos seuils et dans nos cœurs gravé,
vous auriez place au feu, Maitre, vous le savez ;
nous jeûnerions aux jours dits et veilles de fêtes.
On dirait la prière le soir et l’époux
à l’Evangile les ferait mettre debout ;
on paierait dime-Dieu dessus de bons négoces...
C’est pourquoi casque au crâne et revolver aux reins
opiniâtrement, de la Judée au Rhin,
Nous défendrons nos seuils, nos femmes et nos gosses.
6–2–18
Combien sont morts, ayant ignoré ce loyer :
le repas cuisiné par la femme aux mains nettes,
les tout petits rieurs dans les barcelonnettes,
les draps bis frais pliés, les meubles de noyer.
Quarante mois passés les virent guerroyer,
Fossoyer hors la boue et vider les tinettes,
pour que d’autres enfants rient des dents aux nonnettes
pour que d’autres amours fleurissent leurs
foyers.
Ils sont tombés. A notre tour, portant de lourdes
machines, et au cou Notre-Dame de Lourdes
Avançons la semelle aux pistes de leurs pas,
pour, pieux, recouvrer nos glèbes offensées
et que la voix de France, en vain n’unisse pas
Aux sanglots des mamans les pleurs des fiancées.
6–2–18
Dialogue et Chœur.
A) et tant d’autres riront aux bras des jeunes filles
B) Mais d’autres pourriront à demi-recouverts.
A) tant d’autres connaîtront le chaume et le couvert.
B) Mais d’autres mendieront au clapet des sébilles.
A) D’autres boiront la goutte aux champs que la faux sille,
B) Mais d’autres dormiront dans les sillons ouverts,
A) D’autres se dresseront, pareils aux seigles verts,
B) d’autres, comme les blés mûrs, tentent la faucille.
A) Tant d’autres colleront leur lèvre aux dents des vierges,
B) Mais d’autres brûleront, solitaires, beaux cierges.
C) Mieux vaut périr d’honneur que de vieillir barbon.
C) C’est pourquoi casque au front, droits sur nos haridelles
Nous suivons ce parti qui nous semble fort bon :
Aimant l’Île-de-France douce, mourir d’elle.
7–2–18
Regardons ce suaire, ô Maître, à ton estampe.
Qui parangonnerait son style à Ta façon.
Est-il une vierge dont la nuque aux frissons
blonds prévale ce caillot trilobe à la tempe.
L’orbite, que le poing du furieux étampe,
au creux de quelle prunelle omettrai-je son
amertume, et quels bras valent, blancs et bessons,
L’avant-bras que du carpe au coude le sang trempe.
Nous avons recueilli ce lin, dévotieux,
où est gravé ton Corps qui réel
est aux Cieux,
Sûrs que toute chair créée, ta chair l’efface ;
Nous voici nombreux au rendez-vous, escomptant
la contemplation des rubis de Ta Face,
le casque au front, l’Eglise au cœur, l’Hostie aux dents,
Et nous mourrons, les bras en croix, comme préface.
8–2–18
Votre objurgation prophétique m’attache ;
“Voici celui qui vient d’Edom, splendide, au soir.
Votre robe rouge est d’un fouleur au pressoir.
J’ai foulé seul, dans ma fureur, et le sang tache.”
Comme la trame sous l’entrelac des soutaches,
les os colligés aux vaisselles du dressoir,
le cadavre qui mit l’argent aux mains des hoirs,
Ainsi notre sang sous votre Or, sourd, se détache.
C est pourquoi casque en tête et rêne double aux mains
Nous conduisons dans ce terreau gras où, demain,
dormiront, un sur trois, tous ces beaux jeunes hommes.
Je remets en tes doigts ma tête (ô Fils) haïe ;
le texte est médité. Frappe, puisque nous sommes
les grains mûrs à fouler du prophète Isaïe.
9–2–18
La Visite.
Elle et Elisabeth se saluent au jardin ;
Marie a chanté Magnificat, et les plaintes
Des tourterelles se sont tues au long des plinthes
De la maison pauvre, pour l’écouter, soudain ;
L’Enfant a tressailli au ventre vierge, d’un
tressaillement ineffable, et toute peinte
d’angoisse Elle a bu jusqu’au tréfonds sa pinte
de douleur, et remercie Dieu sans dédain.
Marie a voulu là, des mois, comme servante,
Cuisiner les repas et surveiller les ventes,
nous enseignant le prix du travail manuel ;
C’est pourquoi, au tressaut de nos juments galeuses
nous avançons, joyeux, vers son Emmanuel,
la jambe lourd-bottée et la paume calleuse.
11–2–18
De la pauvreté suivant la Nativité
(Garde d’écurie)
Veillez-nous assoupis dans la paille de seigle
et ces balles qui fleurent bon la fenaison,
le cœur gros et tourné devers notre maison
où moisissent les jouets du très petit espiègle.
Nous vivons aujourd’hui dessous la dure règle,
Dans cette guerre qui n’a point terminaison,
considérant la mort de nos simples raisons
comme il est écrit du soleil que fixe l’aigle.
Sous un abri semblable et ce tout même ciel
dedans cette paille d’épis, l’Essentiel
naquit pauvrement à Bethléem de Judée.
C’est pourquoi nombreux et frêles comme copeaux
Nous combattrons, toutes richesses éludées,
Ne possédant pas même la chair de nos peaux.
14–2–18
Ex-Voto
Et c’est pour ce clocher qui eut nom Notre-Dame
de Poissy, et l’Île-de-France douce au lit
de Seine susurrante et au doux friselis
des peupliers d’amour aux métalliques lames,
et c’est pour la Cité dont le soleil étame
les clochetons, et pour ces hauts hôtels palis,
la cathédrale et Dieu au chevet de ses plis,
les bouquins roux dont la chair de velours s’entame,
C’est pour la grand’pitié des quartiers suburbains
où, dans le luxe et la luxure on prend un bain
(et ce Palais-Royal aux colombes peureuses),
pour la femme et les fils que je n’ai pas connus,
pour celle qui voulut vivre une vie heureuse,
et pour maman qui pleure, aux cheveux jà chenus.
15–2–18
Telle au creux des épis la faisane blessée
palpite dans le bris des longs pennes d’or roux,
je me suis replié dessous Votre Courroux
la flèche long’ferrée au creux du cœur laissée.
Au pli
ma paupière amèrement baissée
Se fixa votre Chef saignant (et les cinq Trous)
et dans la glaise rouge et dans le tuf de brou
voici qu’a refleuri la tige de Jessée.
Je me suis relevé sans honte, humblement
et j’ai pris un à un tous les médicaments
que vous aviez inscrits dessus cette ordonnance.
Et il n’y a plus que quelques cris et crachats
à recevoir avec un peu de patience
puis m’endormir au Cœur où Saint Jean se cacha.
baraques de Retortat.
I.
Ces galets mauves, doux et chauds comme des chairs,
la courbe des granits aux cernes émeraudes,
les cerisiers dans le soleil et la maraude
au fil des blés, le sentier blanc qui tinte clair,
le sommeil rose qu’obombre le bleu de l’air,
le rire sur la jeune lèvre bu en fraude,
L’odeur du réséda (lourde et lente) qui rode,
la marge bise et fleurant doux des bouquins chers,
(Et même la beauté blonde de ces chairs nues)
Ma chambre et ce repos dans la nuit mi-venue,
la langueur sobre
des crépuscules ratés,
l’amble déhanché de la jument alezane,
et ce bleu qu’est le noir transpercé de clarté
et ce clocher de zinc qui surmonte Sézanne.
II.
Et d’écouter battre mon cœur, la tempe vide
Ce reploiement du col sur l’oreiller trop bas,
L’extension des jarrets, des genoux et des bras,
le clappement de la langue à la lèvre avide ;
et ce contemplement des marbres
impavides,
et le sicillement aux couleurs—et l’ébat
de l’aisselle en sueur quand le poing sec s’abat,
et cette image blanche et grise dans l’Ovide,
et de manger avec les siens, familial,
de babiller avec ce petit, lilial,
et vous goûter, Ami, dans l’Hostie accessible,
il va falloir quitter tout cela, et le temps,
l’espace, l’apparence et tout amour sensible ;
L’éblouissement nu de votre Hiver m’attend !
22–2–18
Présentation
I.
Saint Joseph tend la couffe où crient les tourterelles
Siméon tient l’Enfant qui bave et rit, tentant ;
Joseph a tiré son chapeau. Marie attend
que le prêtre ait conclu l’égorgement des ailes.
Joseph est lourd d’aspect, et Marie peu belle,
ils sont vêtus d’habits très propres, cependant,
(Vous voyez là le Fils au père s’ostendant,
avec son nourricier, sa mère et deux oiselles).
“Qui soutiendrait sa Vue : Il est pareil au feu
qui fond l’or et l’argent !” et pourtant j’en fais vœu
je ne vois rien qu’un couple et son enfant, timides ;
Nous méditons ici dessus le graduel :
“Le vieillard tient l’Enfant, mais celui-ci le guide.”
J’irai jusqu’où Vous voulez, ô Emmanuel !
16–2–18
II.
Je vous suivrai jusques au bout, mais laissez-moi
vous tenir. J’ai tant bu de fleurs et de nuances
palpé de moelleux, odoré d’effluences,
tant vu courir les ans, les saisons et les mois,
Ma chair s’est dispersée en tant de vains émois
Et mes pieds fatigués en tant de sinuances
Mon âme endolorie en tant d’ordes muances,
que j’étais las devant qu’endosser le harnois.
Il me faut colliger vue, toucher, ouïe,
Afin que la face de Dieu soit réjouie
et ne plus rien laisser traîner de mon amour.
J’avance dans la boue, et la ténèbre verte
sous l’aile des velus, jarrets floches, doigts gourds :
Mais je tiens l’Enfant bien serré sous ma couverte.
Images : I.
Sainte Barbe.
(Patronne des Artilleurs)
Et voici la prière à la très Sainte Barbe
qui pitoyablement veille sur nos dépôts,
Cueillant les âmes qui jaillissent hors des peaux,
Fossoyant toute chair que la mitraille ébarbe.
Présentez devant Dieu le Père, en blanche barbe,
ce martial, pieux et pourrissant troupeau
qui, par monts et marais, par vallons et coupeaux
guerroie, issu du Nord, et de Seine et de Tarbes.
et protégez aussi, Barbe, chaque foyer,
et celui où le mot de dœuil fut envoyé,
où la mère a pleuré avec la fiancée.
Nous vous prions du haut de nos sièges de cuir,
Dans le cahotement des carrioles lancées
sur la route d’honneur, dont nul ne saurait fuir.
Corvée de ravitaillement, 12–2–18
II.
Saint Tobie.
(Patron des Fossoyeurs)
et je vous joins très Saint Tobie, aux fossoyeurs
et aux corps qu’ils fossoient, patron prudent et sage.
Tant de chairs ont pourri dès le recreux des âges,
de membres décousus dont il est grossoyeur ;
tant de corps oubliés, des pires, des meilleurs,
de fiancés, de fils et d’hommes en ménage,
de crânes vieux ou neufs, dessous son patronage,
se dissolvent, dont il sera le réveilleur.
Bon jardinier, il tient la pelle sous la paume
droite et, dans la gauche, une pyxide de baume.
(jaillisse le crocus hors le bulbe barbu !)
Prions humblement Saint Tobie, pour qu’il oigne
notre corps au jour dit, quand le tuf l’aura bu
et jusques au Réveil, qu’il le signe et le soigne.
corvée de T.R. 12 à 15–2–18
III.
Saint Nicolas Lorrain.
ô bon Saint Nicolas, patron de la Lorraine,
la hotte au dos, sous le couvert des pins neigeux,
Voyez tous vos enfants dont vous aidiez les jeux,
aux corps amoncelés comme rocs en moraine ;
voyez vos tout petits corrodés de gangrène,
ces enfantelets mués en cadavres fangeux
(vos gisements lorrains nos chairs en sont l’enjeu).
Faites fleurir les corps enfouis comme graines.
Voyez ce grand pays que l’on assassina,
ce traité qu’il y a cinquante ans on signa ;
écoutez ce grand dœuil en nos marches frontières.
Prions Saint Nicolas qu’il tourne le loquet
du boucher, vite, et nous guettons par la chatière
les trois petits enfants jaillis hors du baquet.
21–2–18
IV.
Sainte Odile Alsacienne.
(Guérisseuse des maux d’yeux.)
Il me sied vous prier, étant porte-lunette,
Très Sainte Odile, guérisseuse des maux d’yeux,
me voici ballotté dessous l’orage odieux,
guettant terre, en marin huché sur la hunette.
Il me sied vous prier, vierge aux prunelles nettes
pour tous ces compagnons dont l’été compendieux
fut rouge de souffrance et dont l’âme est en Dieu
(Ils sont morts pour leur France en fiancés honnêtes.)
et pour ce beau terrain de votre patronat,
ce gras terreau d’amour que Strasbourg couronna
comme le nimbe dessous la tête tranchée.
Si elle m’en laissait le temps graverais-je or
la douce abbesse Odile écoutante, penchée
vers ce rosier de France aux fleurs pourpres et or.
22–2–18
V.
Saint Benoît Joseph Labré.
(Patron des Mendiants.)
Très Saint Benoît Joseph, patron des pauvres hères,
de dedans cette boue et dedans ce verglas,
de dedans ces rancœurs et de dedans ce glas,
de dedans cette mort, de dedans cette terre,
par ces doigts courts-jointés où de la glaise adhère,
par ces chevilles nues et rouges, que cingla
le froid, par ces travaux que Dieu même régla,
nous te prions, nous, tes très minuscules frères,
en traînant nos houseaux dessus ce court chemin
qui descend vers Sézanne, et l’on s’en va demain
vers ce pays nouveau où fleurissent les plaies.....
Oh ! je suis las, horriblement de l’action..........
et de mon pauvre cerveau que la fièvre emblaie,
j’ai soutiré pour vous cette invocation.
(au pansage par temps froid) 3–3–18
Vœu.
Pour qu’elle soit heureuse et forte ménagère,
ses matins clairs, ses soirs calmes, ses jours nombreux,
et son mari semblable au peuplier ombreux
protégeant la pousse légère des fougères.
Que sa famille soit le trésor qu’elle gère,
sa bourse ouverte au pauvre et son cœur au lépreux
afin que ses garçons soient forts, pieux et preux,
Ses filles bien bâties, accortes et lingères.
Elle est jeune mais déjà lasse de souffrir,
(Ses espoirs poignardés ont-ils pas su s’offrir ?)
Son cœur sèche, et le bien comme étrange, l’étonne.
Fructifierez-vous pas ce ventre maternel.
Le pommier blanc promet la corbeille d’automne
et la chair fécondée ose une œuvre éternelle.
12–4–18
Très doux petit Jésus voyez-moi ce pauvre homme
acharné en son gain et faites-lui penser
qu’il n’est pas ici bas pour se récompenser
de ce que ses Parents dévorèrent la pomme.
Il se gonfle d’algèbre et suppute la somme
et le quotient. Jésus veuillez bien le tancer
Vous dont les bras sanglants et dont le dos fessé
portent la charpente lourde, en bête de somme.
Dans son orgueil il rit. Cependant les griffus
Siègent dessus son âme, et les anges confus
Fuient (quand même il aurait un galon d’or aux manches).
Jésus, mettez-lui la capuche sur les yeux
l’Hostie dans la bouche et la cordelle aux hanches ;
Si pauvre est la charrette et si grinçant l’essieu.
11–3–18
Très bon petit Jésus, moi, pauvret, que j’étreigne
ces doux jolis petons blonds et crispés de froid,
vous qui êtes mon Dieu (lourd enchapé d’effrois.)
moi qui voudrais que mon âme soit Votre Règne.
Satan est plus prenant et gluant qu’une teigne,
Il se présente aux yeux en si pompeux arroi.
Mais je préfère les sueurs et le charroi,
et la douleur, pourvu que Votre Sang la teigne.
Voici bientôt un an j’ai rencontré ce dret
travail journalier. Quantes fois on voudrait
délasser corps et âme. L’humilité flanche.
Mais maugré poursuivons sur nos usés genoux
C’est sage de L’aider à porter cette planche
Car Lui à terre, tout le poids serait pour nous.
12–3–18 (retouché 25)
Pour aller à Bleau.
Très doux petit Jésus voyez cet espoir maigre
et s’il n’est pas, plutôt que de Vous, de Satan
la tentation d’orgueil, démoniaque, m’attend
avec son képi d’or meublé d’un rictus nègre.
Mon cœur a tant souffert qu’il est tourné à l’aigre
mon instinct se raccroche encore au bois flottant
mais votre main minutieuse va l’ôtant
et force ma noyade à se soumettre, allègre.
Ce sacrifice, il faut Vous le vouer. Et puis
songer que le seau est utile au fond du puits
d’où il émergera, ruisselant d’eau potable.
Je suis blessé, mais mon désir espère, hagard ;
il est des fermiers qui gracièrent, charitables,
ce chien mal fusillé qui quêtait du regard.
14–3–18
Pour Le remercier de n’être pas allé à Bleau.
Très bon petit Jésus voyez-moi ce pauvre être
que je suis. Il est vrai, votre Bois est tant lourd
que pour le traîner dessus nos reins bleus et gourds
Il faut le fouet de l’exhortation du prêtre.
Voyez-nous encasqués et bottés comme reîtres,
mais notre âme est plus craintive que l’eau qui sourd
(Le ruisselet jaseur berce les pieds du sourd)
et c’est toujours la croix que l’on voit apparaître !
Jésus ayez pitié de nos membres neufs (si
précaires) cahotés vers ce front de Nancy,
de ce chef trinquaillé vers ce front de Lorraine.
Saint Jean dont j’ai le nom, Saint Denis de Paris,
Saint Nicolas lorrain, et Vous Marie, Reine
des Cieux, priez pour l’âme et le corps, mi-pourris.
J’aurai dépassé ce monde sans le connaître
Et ne possédant rien, hors ces sens mensongers ;
Ignorant lequel est le plus vrai, du songer
ou de l’éveil, et s’il vaut mieux mourir que naître.
S’il ne Vous avait plu m’enraciner ce hêtre
sanglant, et jusqu’au cœur, tel un dard, le plonger ;
même vos clous il vous a plu les prolonger
pour me crucifier à Votre verso, Maître.
L’extension de vos deux bras, c’est l’Unité !
comme un drapier toise son drap, dans l’équité,
je mesure, je jauge et juge toutes choses,
métrant joyeusement en Jésus et les siens
ce gros soleil, ce travail dur, ce signet rose,
ce meuble rond, ce sénateur, mon petit chien.
23–2–18
Vous nous avez pressés comme on presse une orange,
lamentables, giclés sous le couteau crissant,
et la sueur, la boue, et le pus, et le sang
jaillirent jusque sur la robe de Vos Anges.
Ton petit dort dans un suaire en place de lange.
tu décapites le coupable et l’innocent
et tes enfantelets frêles, Père puissant,
l’obus les écartèle et le lupus les mange.
cette agonie de quarante-quatre mois !...
mais qu’est-ce que nous t’avons donc fait, Dis-le moi
puisque je tiens scellée à ta lèvre, ma fièvre.
mais pourquoi demander, mon âme est un charnier
plus puant que les tanneries sur la Bièvre……
“Fils, l’amour dans la mort, s’offre à ceux qui l’ont nié.”
18–4–18
I.
Intérieur.
Nous voici tous deux comme un ancien ménage,
Seigneur ; Voici longtemps que je vous ai connu,
et pourtant qu’il est maigre, qu’il est ténu
le fil qui me retient sous votre patronage.
Quand le mari revient de son travail, en nage,
la femme lui passe au cou ses bras chauds et nus.
Votre Bois fut lourd. Or vous voici revenu :
je n’ai nulle pitié de votre surmenage.
Vous m’avez demandé place en l’âtre, l’écuelle
de soupe. J’ai ri “Va, retourne à ta truelle,
maçon. Le bois est vert et les légumes crus.”
Vous attendiez. J’ai dit, jetant contre la nappe
bise, le pain rassi, le vin de mauvais cru,
crocs d’attaque, yeux méchants “chien, tu veux manger, happe.”
II.
Plus tard j’ai connu la richesse de Vos Bras,
alors j’ai souhaité vos prunelles moins étales,
Vos dents aiguës, votre étreinte plus brutale
et j’ai pleuré des jours que vous n’étiez pas là.
(Prostré, les soirs, clos à l’âtre, placide et las
Vous n’omettiez ces jours d’antan, où les cymbales
De ma colère vous trouaient, comme des balles,
le cœur, et Vous priiez et sanglotiez tout bas.)
J’étais sincère et vous ai dit, pâle de honte :
“Maître, que faut-il pour justifier nos comptes,
pour que Votre mémoire oublie, que faut-il ?”
Mes yeux cernés épiaient l’ombre de vos cils…..
sans voir mon corps, rêveurs, vos gestes chassaient, mouches,
mes doigts craintifs tressés vers vos genoux farouches.
III.
Vous m’avez répondu : “Lave net ta vaisselle ;
Tord le linge mouillé, plie aux plis les draps blancs ;
ne reste pas devant mes yeux les bras ballants ;
travaille, ne crains pas la sueur à l’aisselle.
Je n’aime pas les reins, qui sous le poids chancellent
Porte ta Croix. Egorge le désir troublant ;
que ton esprit soit nu, sans ombre ou second plan,
pour que mon Ame dans ton âme soit chez elle.
ne t’obstine pas à tendre, vides, ces mains,
douloureuses bornées à tes désirs humains.”
Je me suis obligée à Vos conseils honnêtes ;
A vos retours, au soir, je servais le repas
à l’heure, et Vous pouviez dessus ma lèvre nette
goûter l’amour exact qui ne s’égare pas.
Très bon petit Jésus quand nous montions en ligne
D’entre le trèfle rose et les jeunes épis
des horizons barrés de collines lapis
où le couchant saignait tel, au poitrail, un cygne.
plus secret que le bois aux frondaisons insignes,
plus retors que le camouflage aux verts tapis,
plus haut que la saucisse, un guetteur s’est tapi :
La mort, en souriant, nous semble faire signe.
Et par ces prés fleuris et ces coquelicots,
et ce soleil marbré d’or comme un abricot
qui pose sur l’effondrement glauque des feuilles,
la tête cahotée au choc lourd des essieux,
Avançons et prions le Maître, afin qu’il veuille
Nous
vivre pour Sa gloire et nous
tuer pour Ses Cieux.
Route de Ressons-sur-Matz. 4–6–18.
d’après ce bain de fer et ce dur corroyage,
d’outre ce grand effort et ce proche danger,
voici qu’il m’est permis me coucher et manger
attentif au sinus, patient au corroyage.
Nous sommes descendus de la ville en pillage,
de ces blés beaux où nos frères sont engrangés
vers ces âmes et ces visages étrangers ;
nous avons dépassé la gare de triage.
les musettes, le masque et le penn-bach, le sac,
l’effroi d’hier, le dégoût et la fatigue, en vrac
portés jusques au pavillon familial,
je retrouve les jours d’antan (comme on exhume),
et hume la candeur du passé lilial
tel un lys gris éclos sur ce lac de bitume.
allant du front à Bleau, 7–7–18.
Maître voici mon corps et toutes ses sueurs, tel
(Est-ce l’arôme de la tuerie qu’il suggeste ?)
mes pieds aptes au saut, ma paume adextre au ceste,
l’ouïe au tonnerre et l’œil aux fuites de cheptel.
Avec ceux d’Ecosse et ceux mâcheurs de bétel,
S’étant rassasié en cet effort digeste,
gercé des vents, cuivré de feu, durci de gestes,
il s’est agenouillé d’ahan, face à l’autel.
La bourguignotte ôtée et joints les doigts de fièvre
J’ai dit : “Maitre, est-ce pas qu’elle paraîtrait mièvre
celle-là qui n’aurait nulle gerçure aux doigts ;
Comment supporter son rire oublieux des Plaintes,
biber ce Theuriet et cette eau de Badoit ;
Et poser ma dent mâle à sa gencive peinte.”
à Bleau.
Ce n’est pas un hochet que je veux, mais une aide
pour que nous avancions à deux le bon sillon ;
qu’elle ait les bras musclés et durs de l’action,
défroqués de la soie et des mollesses mèdes.
Les jours sont courts. Le juge approche. Nul remède
Hors la tâche accomplie. Alors sans fiction,
Les justes blanchiront les collines de Sion,
les mauvais rougeoieront plus qu’au soir les pinèdes.
Je veux qu’elle soit humble, avec de beaux enfants
s’il plaît à Dieu, et que le pauvre, le souffrant,
le malade, l’errant, le pécheur aient là gîte.
Qu’en l’Esprit soit le lien de nos chairs, et nos corps
Durs, nos vouloirs aimants, nos membres pélasgites
fondent leur eurythmie en Ton unique accord.
Bleau. 20–7–18
Ces gros doigts éclamés à l’angle des lambourdes,
Ces gros regards veillant ce trou rouge aux petits,
Ce gros amour freinant à bloc ses appétits,
Ce gros esprit décortiquant leurs doctes bourdes,
Ces doigts fins nacrés plus qu’au muscle la palourde,
Ces yeux vairs où la joie enfantine blettit
Ce plumeux cœur où le désir noir s’est blotti,
et cette haleine chaude, et cette nuque lourde,
Comment unirions-nous ces âmes et ces corps ;
Vaut-il pas mieux sceller mes paumes aux raccords
de Vos Clous et mon cœur aux frames de la pique,
Collant ma lèvre dure à Votre Front vrillé,
ma carcasse évidée en Votre Flanc topique,
Et mes doigts de manœuvre à Vos Doigts ouvriers.
Août
Voyez ce stri d’or, Maître, au creux du parement
Je vous l’offre n’ayant que faire de sa gloire,
étant plus creux qu’aux jours où je nouais l’avaloire
Lorsque mes doigts crevés grignaient comme un sarment.
Alors j’étais lové entre vos Doigts-amants
Mieux qu’au poing fougueux du tonnelier le doloire
et, traînant mes houseaux crasseux au bord de Loire,
je savais derrière moi, des Anges charmants ;
Maintenant me voici seul (et ce beau costume).
et mon hier n’est plus qu’un souvenir posthume.
Certes, il valait mieux la pauvreté––et Vous.
Cependant, Dieu du ciel, regardez ma bassesse,
Considérez que mon cœur humble est à genoux
Sanglote et jusqu’à votre retour n’aura cesse !
11–18
Or me voici dedans cette bonne Lorraine
Dans ces vallonnements et dans ces boqueteaux
Couvrant l’étape au dos d’un gail au pas pataud,
Le pied dans l’étrier et le poing dans les rênes,
Et nous traînons derrière nous d’ordes carènes :
Les lourds Schneiders tangueurs dévalent les coteaux
Monstres morts, qu’éclaboussa la gloire au poteau
frontière, quand le sabre jaillit de sa gaine !
Et nous nous dirigeons, pas à pas, bourg à bourg,
Dans la pluie et la neige et la boue ocre, pour
l’écarteler, rouge et chaude, vers l’Allemagne.
vers ce pays intact aux chairs blanches, nous Francs ;
Nos vierges sont violées, nos petits morts au bagne,
nos frères pourris, nos doigts durs, nos cœurs souffrants.
Avec le 101e A.L. 28–12–18 Lorraine
Sténographie : Pour .
Vous la possèderez, des vertèbres aux dents
Avec son corps vierge et son âme solitaire.
Elle a grandi comme un beau plant gorgé de terre
qu’émonda le scalpel ; qu’effeuillera l’autan.
C’est un beau don. Il vous faut la soigner autant
qu’un cheval ou qu’une coupe antique. (ô mystère
pensez-y, l’Ange proche cube stère à stère
vos actions, dans la justice, et quiet, attend.)
Elle est bonne lingère et vous serez bon maître.
ô pour ces enfantelets vôtres qui vont naître
que vos âmes fument vers Lui, bleus encensoirs.
Afin que jours, mois, ans fanés (ô nuits paisibles,
réveils chastes, travail des jours, repos des soirs.)
gonfle, croisse et jaillisse en vous l’Aile incessible !
Merci, Maître, d’avoir permis que l’humble graine
germe en France et que ce corps fleurisse français ;
Merci d’avoir été le père qui tançait
mais qui n’a point permis que les grains neufs s’égrènent.
De tout cet hallali, ces courses en garenne,
il ne reste plus rien qu’un matériau d’essai ;
De ces rires de haine et des morts qui dansaient,
il ne reste plus rien qu’une grande migraine.
Vous n’avez point voulu de ce corps sec pour bouc ;
Vous saviez bien qu’aucun Baedecker, que nul Cook
ne saurait l’initier au martyr indigeste.
Et c’est pourquoi je vais Gros-Jean comme devant,
marchant de telle marche, agissant de tel geste,
Et mes désirs broyant à vide, meule à vent.
16–12–18
I.
Du Mendiant que je n’ai pas rencontré sur ma Route.
Maître, Maître voici de lasses solitudes
Dans le soleil, vers la route, le pérégrin
pose sa gourde et ses doigts gourds courent aux grains
du chapelet. Ses pieds sont blancs de lassitude.
Il s’est guidé sur l’astre et a la certitude.
Voici vingt et deux jours qu’il marche, vent aux crins.
Son bâton sonne sec et le passant le craint,
Ses doigts sont durs et son iris jaune d’étude.
Il y a ici un mauvais estaminet,
avec du vin d’écorce et des filles minées,
et des hommes gros et pétants boivent et baisent.
Lui s’apaise dans le soleil et le sommeil
Et une rose sur la bouche pose et pèse
Et des papillons lui fleurissent aux orteils.
Maubach 24–3–19
II.
Il songe à voyager encore des années
Et rit de n’avoir en sa poche nul jaunet ;
Pour pièces d’or il n’a que de jaunes genêts
Sachant la chair farce, plutôt que fleurs, fanée.
Il va vers la Cité aux cloches tant famées.
Il a rencontré un enfant qui déjeunait,
lui a fait dans sa barbe un rire tout jeunet ;
Maintenant tout seul sur ses semelles vannées.
La fermière lui offre un accueil réservé,
Des attaches de la chair Dieu l’a sevré,
Il a perdu l’habitude de rire aux filles.
Mais quand il va sur le chemin long d’être droit,
le soleil dore le soir ses maigres chevilles.
Il a un ange à droite et un à gauche et ils sont trois !
25–3–19
III.
S’il croise des coquettes qui piaffent et gloussent
Il s’attarde des dents torves aux reins d’estoc ;
Il sait qu’il y a peu de vrai, beaucoup de toc.
(Tant leur ont déjà donné l’unique secousse.)
Quiet, il frotte sur un michon de pain, sa gousse
d’ail—lui aussi faillit s’embarquer aux docks
sentimentaux—Ça l’a quitté comme un Médoc
qu’on cuve, (Elle pesait, blonde, glaireuse, douce).
Il sait qu’on ne possède nulle chose qui
ne lasse—L’Amour plus rare que l’Opaki
Et que la femme qu’on croit sienne, un soir, se cabre.
Aussi il ne possède rien mais serf, il sert
Dieu—(l’ami d’hier chevauche, traîneur de sabre.)
Lui tresse et vend de petits paniers à dessert.
24–3–19
IV.
Les passants disent : “Ce n’est pas vivre, mais mourir.”
Or lui en a tant vu crever sur l’âcre route,
après souper, dégueulant leur âme et leur croûte
s’arquant vers Dieu lorsqu’ils n’en avaient plus loisir.
Il a tant su de chairs lubriques, leurs désirs
gavés, retournant vers le Christ, l’être en déroute,
que tous ces gens-là s’agenouillent pour l’absoute,
et, morts, croisent leurs doigts façonnés au plaisir.
Il sait trop que la hache divine s’écorne
A tant de cœurs (plus massifs qu’au bloc la bigorne)
qu’il faut bien l’âme serve où crisse le couteau.
a tant vu de crête en chute, blancs capriformes,
s’écraser nos vouloirs...lors lui, quiet, goûte au
total acquiescement d’inéluctables normes.
Maître, Maître, voici l’heure orde et nuageuse.
ma chair est jeune au vieux désir (mon habit neuf)
et mes doigts pétrisseurs de métal, étant veufs
d’étreintes, crient comme au vent d’ouest la poutre âgeuse.
cette fille, elle a des chairs blanches. Ses cils gueusent
un regard, (son col dur et rond comme l’éteuf)
son rire rouge est comme une plaie et tel l’œuf
vide, sa phrase tinte aux chaleurs des muqueuses.
Elle est bestiale, avec des trilles d’oiselet,
sa chair est là contre mes reins, si je pouvais
préférer son masque ivre à votre Face austère.....
mais je ne puis, mais je ne veux, ô mon Seigneur,
et mes doigts, et mes cris et mes reins vont se taire
dans l’apaisement de votre geste enseigneur.
19–3–19
“ne désirer l’œuvre de chair qu’en mariage”
C’est écrit, Maître, et ton courroux je le connais.
mon corps, tu l’as dompté comme on mâte un poney,
du genou dur, du poing blême, sa gueule au sciage.
comme on passe le sable au crible, ce triage
Tu le fis. (quand
sous des cieux chauds à la Monet
les doigts mâchaient le tuf, quand les dents s’étonnaient
de mordre à vide avec ce sang noir au sillage.)
et pourtant je regrimpe aux anciens jours fiévreux
et pourtant le sel bat les dents, les doigts fiévreux
la sueur de l’aisselle et le creux de la cuisse.
absurdité, banalité de cette chair
pendue au tétin flasque, aux chairs molles des lices
mais refleurir, lucide et lilial, et clair !
19–3–19
Maître, maître voici. La mort lourde m’opombre ;
Tous ceux-ci qui riaient à dents folles, tous ceux
qui chantaient, tous ceux qui s’aimaient, jeunes, tous ceux
qui priaient, ils sont tous hors l’espace et le nombre.
comme une touffe agonise dans la pénombre
leur corps (paysans durs ou suburbains tousseux)
se disloque et candide, clair, insoucieux
moi je fleuris comme un chienlit sur des décombres.
Je m’engraisse, je ris aux femmes, je suis plein
d’indulgence pour ma cervelle (ô, je les plains
les morts). La vie est moite et proche ; ô, vieux arômes !
contacts sus, œil lucide, ô goûts familiers,
chairs chaudes, foins fleurants, soupes au soir, cieux chromes ;
C’est gênant qu’ils soient morts et pourris, ces milliers.
19–3–19
Maître, des casques et des stupres, et des sabres
dans ce terreau fleuri de vignes, blanc de peaux.
Ce galon d’or qui prend les filles à l’appeau.
Ce lit étroit où leurs reins révulsés se cabrent.
Ils ont crucifié la Victoire aux gestes glabres
en l’étal des femmes aux chairs à chauds repos
et ces “vainqueurs” se disloquent, honteux troupeau
vers quelque chambre où quelque garce se délabre.
Combien sont morts, combien sont morts, or morts, ô chefs
(ils tendraient tant leurs verres vers le vert Burgeff.)
qui ne trinquent plus parce qu’ils n’ont plus de bouches.
Cette gloire de fatigue, aux seins sanglants
Veuillez ne faire d’elle une gloire en babouches,
(cigarettes, parfums, fleurs, lèvres et raglans !)
26–3–19
Seigneur, seigneur voici ma chair lasse de lutte.
Laissez-la s’échouer au sable, sans secousses
s’enliser en sa chair sœur arômale et rousse ;
ces cils d’ailleurs que ma lèvre aimante les lute.
Mes yeux glauques stagnent, tel creux un lac palude,
et mes doigts à des rêves d’hier, savants, s’abouchent ;
mes mains veulent des peaux, mes dents quêtent des bouches,
mais le Seigneur Dieu voit mon désir, et l’élude.
Car Vous m’avez donné de Vous connaître, Maître ;
il ne sied point que je sois semblable à ces êtres
qu’épuise le désir divers, mais une et calme
mon âme entre Vos doigts (qu’ils réjouissent ou navrent)
docile et semblable aux yoles dont les scalmes
jumelles s’offrent au Rameur blanc, sûr du havre.
3–5–19
Seigneur, seigneur, voici mon corps, et puis ce don
de mon désir charnel et du charnel cadavre
dont le geste Vous point, dont le relent Vous navre ;
ce cercueil noirci, nous Vous le rétrocédons.
Du bois moussu l’artisan tire un dieu. Sait-on
si Vos doigts en ma nuit n’oculeront un havre,
ou quel suc jaillira d’hors ce fumet trop poivre,
ou quelque ange lové aux trinquaillants sétons.
Et c’est pourquoi voici ces membres et ce torse :
dents avides, génitaux durs, paumes retorses,
os, derme, muscles, nerfs, côtes, bornés, pourris.
Je vous les cède, n’en sachant issir qu’abject.
compénétrez, domptez ce tas branlant, pour y
infuser les Vigueurs que Vos grâces détectent.
4–5–19
Maître, maître, pourquoi naître à ces nouveaux aîtres ;
est-ce qu’il n’y a pas assez d’autres pour çà.
Leur chair si cher cherchée l’autre la remboursa.
Elles seraient si bien aux champs à faire paître.
Elles me fatiguent. Je ne vais pas le mètre
en main mensurer leurs œuvres en lents pourchas..
le temps n’est plus aux lièvres qu’un printemps coursa,
le temps n’est plus aux lèvres d’où “l’amour” doit naître.
me voici devant ces réalités de bois ;
ce bois de cèdre que l’air rouille et le Sang boit,
Je me suis encoffré dans cette unique Planche !
et il n’y a plus ni rire rouge ou doigts fins,
ni friselure, ni jupe, ni hanche blanche
ni ventre, qui me soit plus qu’un Bois dont j’ai faim !
23–3–19
Maître, maître voici l’apaisement final.
Après ces longs combats et ces longues requêtes
et ces révulsements dont le désir hoquette,
et quête un corps bestial, où quiet cuver son mal.
Après l’été poisseux et l’automne arômal
et l’hiver solitaire et désirant, je guette
la giclance des bourgeons et des sèves quiètes,
verts éventails, panaches chairs, suc animal.
Je veux vivre plus clair et nu que cette plante
suivant l’hygrométrie et ma croissance lente
docile à secouer le joug des pesanteurs.
Neutre, j’épanouirai ces membres et ce torse
(pleurs ou rires comme celle-ci ces senteurs)
et ma chair fanera comme craque une écorce.
21–3–19
Seigneur voici mon âme pauvre et ma chair pauvre
mon regard manuel et ma paume âpre au soc,
mon dos et mes reins courbés dessous le sac
et le pêne et la clef dans la porte qui s’ouvre,
et la galère d’or adorante en le havre,
la fontaine jaillie hors ce Sahara sec,
la gomme qui découle, la lèvre, le suc,
et l’iris agrandi en jubilations ivres ;
voici la pauvreté en grande pauvreté,
sans sandales, sans bourse, sans sac, sans étai,
les cheveux gris, les doigts branlants, le front d’ascèse,
aux chairs laides, aux dents cariées, aux yeux creux,
claudiquante et noire, avec pieux contact, au creux
de la joue, les baisers de François d’Assise.
Vendredi Saint 19
Sténographie : Quand j’ai appris que nous mangions à peu près le dixième de notre capital par an.
Au pas de nos chevaux, aux vaux Rhénans, au tôt
matin, au trot de nos juments sages et zanes,
nous éclosons hors cette grande guerre insane,
trinquaillants fers et cuirs sous vaux et sous coteaux.
ces chairs qu’injurièrent la masse et le couteau
et ces cœurs sont plus nus qu’au corps chaste Suzanne ;
Combien pourrirent depuis ces jours de Sézanne
et le reste, la mort le prendra tard ou tôt.
or devant qu’elle soit là pour entiers nous prendre
nous cheminons au fil des mois et des calandres
par ces vallons vineux, par ces bourgs chauds et forts,
boueux, mais la rose à l’oreille et pipe en bouche,
vers ces filles neuves, verseuses de vin d’or
dont les chairs blanches, au bruit des bottes, se couchent.
en déplacement 7–19
I.
Seigneur, seigneur, prenez pitié de ma rancœur.
Je suis las, ô si las, de ces âmes bovines
ma fatigue a roulé (agonie) aux ravines
sans plus ouïr en ses stupres vos mots tanceurs.
Ma cervelle assembleuse est disjointe, étant sœur
de ces crânes épais, mon cœur d’hier s’avine
(ou glaucir ces couchants sur Seine aux rives fines
ou rapaiser ces doigts aux gestes encenseurs).
Seigneur, seigneur, vous qui voulûtes cette épreuve
Ayez pitié de ce corps sec, de ces dents neuves,
de ces doigts prompts, de tout cet attirail de chair.
Décanguez cette âme qu’enrobe sa glèbe ;
Tressez ces phalanges tristes en Vos doigts chers
et qu’Un royal baiser jugule ces dents plèbes.
II.
et qu’un baiser royal recule le mot louche
en la lèvre gercée et triste d’avoir ri,
et ces doigts chercheurs en frôlis d’ordes houris
que vos phalanges chères en thyrses les touchent ;
ôtez des yeux l’orteil qu’agace la babouche
ôtez des dents le goût du derme chaud pétri
ôtez des reins l’ardeur des reins ; Daignez un tri
dans ce cerveau, ces yeux, ces mains et cette bouche.
Cendre sur cendre. Je ne goûte plus la paix
d’être seul. Je désire l’homme au rire épais
et me saoûler de mots vides de Votre Verbe.
or me voici tombé comme un fauché gramen,
or me voici gisant comme gît, sèche, l’herbe
Vide et sans force pour Vous désirer.
Amen.
9–6–19
Seigneur, seigneur, voici des heures monotones
Avec la tentation de chair au relent
fade, fardant l’amie ductile aux doigts blancs
(L’odeur du soufre au creux de sa toison d’automne).
ce corps d’un joli mécanisme est doux et donne
le doux et le profond des animaux troublants
et la peau élastique et la paume et l’élan
du rire accueillent doux comme une chienne bonne
et c’est pourquoi je l’ai élue à mon vouloir.
Elle vient coudre près de moi, docile, au soir
comme la chienne près du maître, dans la chambre.
et mes yeux et mes doigts ont connu et palpé
la pauvreté de ce visage et de ces membres,
cette âme menue, humble et tiède
de poupée.
Rheingönheim 29–8–19
Des femmes que j’ai rencontrées en Allemagne espécialement de Rheingönheim et Eppstein.
Prière générale pour avoir le goût vrai de la femme.
Comme j’étais un officier lourd de galons
vous m’avez mis sur la route de ces doigts longs,
de cette bouche ronde et de ces cheveux blonds.
Et comme j’étais une âme violente et triste
Vous m’avez refait au contact d’yeux d’améthyste
l’âme naïve et non lascive ni artiste.
et comme mes doigts se serraient crispés aux draps,
vous m’avez attiédi sur l’épaule et le bras
la caresse languide à sa peau de cédrat.
et ma lèvre que tant de contacts durs érosent
s’enfiévrant vers je ne sais quels amoroses
vous l’avez posée au creux frais de sa joue rose ;
le contact unique et multiple de ses crins
d’or, la tension de la nuque ronde, le grain
du menton, le jeu des paupières qu’on étreint,
ce renversement las du col et de la face
et l’abandon quiet de ce corps sans grimace,
Après la tâche ce repos de bête lasse.
A celle-ci je puis donner le nom de sœur
Sa bouche pantelait vers ce creux de mon cœur
et j’ai respecté son corps gonflé de douceur.
Cette autre fut plus qu’un incident sur ma route
Elle m’a doint ce papier qui l’éclaire toute ;
A son âme complexe et rustique je broute.
Elle était brune et rose et parlait bien français
Elle vivait en Dieu sans effort et pensait
que le bonheur réside en des jours sans excès.
Pourtant son âme était inquiète et désireuse
Elle avait lu trop de livres niais : phrases creuses
mots vides empêchaient son âme d’être heureuse.
Elle m’a parlé longtemps de Schopenhauer
Moi j’aurais voulu qu’elle aspirât du bon air
et caresser sa paume moite et ses yeux clairs.
Il y eut un soir glorieux sous la tonnelle
Je lui racontai la nature : Maternelle
la main de Dieu prenant les choses en tutelle.
Et j’aurais voulu qu’elle oublia Goethe et Kant
pour ce ciel d’or vert s’affaissant en splendeur ; quant
à moi je m’épurais comme un vin qu’on décante.
“Sans fièvre j’ai cherché la Vérité.” Candide
elle parlait les yeux vers quelque albe Atlantide
et Dieu même parlait par sa bouche splendide.
puis ; “J’ai cherché Dieu sans le trouver, mais je veux
le chercher jusqu’à ce que débordant mes vœux
il me fasse dans l’Unitive ses aveux.”
son cœur brûlait comme s’épure pâle un cierge ;
Elle était mauve sur le fond des vignes vierges
et ses seins ahanaient sous leur gaine de serge.
Nos deux Anges veillaient près nos deux corps d’enfants
et sous les mots comme de pollens triomphants
nos âmes se doraient, tendres, en s’élevant...….
L’une m’a laissé sans orgueil sa chair tant blonde
et m’a rempli les mains de ses épaules rondes
parce qu’elle n’avait ni savoir ni faconde.
Son don fut pauvre comme est pauvre toute chair.
Son âme sautait sous les doigts comme un concert
humble, et son souvenir charnel et sot m’est cher.
Autant qu’un agnelet qui gambade et qui tette
son corps me ravissait (son parfum fort m’entête)
puisqu’elle (n’ayant rien à dire) se fit muette.
Je lui contais des histoires de loup-garou
Elle riait et ses poignets à mes doigts roux
palpitaient comme la faisane qu’un plomb troue.
Elle ne m’a laissé qu’un fumet qui m’entête
et aux doigts le contact douloureux de sa tête
et aux yeux la candeur de son regard de bête.
J’ai consommé sur elle ce savoir que corps
de femme et pourriture sont semblables, qu’hors
Dieu, même une gorge ronde n’est que mort.
L’autre me fit un don plus grand, qui est son âme
et bien qu’elle eût un corps joli et sain de dame
Elle sut que son âme était un bien plus alme.
D’elle, elle m’abreuva jusqu’à satiété
Fructifère tel un pommier chargé d’été
Le souvenir que j’en garde est dans la clarté.
Il y eut aussi d’autres contacts, mais d’impures,
fruits blets chargés de vers, rongés de pourritures,
plaies dont le pus découle et qui gonfle aux sutures.
femmes bues entre deux verres de vin bouché,
femmes publiques aux corps parés et couchés
quartiers chauds à l’étal lascif du noir Boucher.
C’était le plus souvent de bonnes ménagères
des femmes qui avaient roulé dans la misère ;
J’ai souvenir d’une maternelle et amère.
Pour qui n’est pas client elles ont des trésors
d’expérience et vont bestiales vers la Mort
comme des bœufs qu’on pousse au travail d’un dard fort ;
J’en sais beaucoup, rentées, dévotes et bourgeoises
plus immondes que ces filles-là que l’on toise
(Si leur faute est publique, la leur
est sournoise)
Il en est d’autres, jeunes filles comme il faut
dont les parents m’offraient au goûter des gâteaux
et qui me jouaient très gentiment du piano.
Je n’aimais pas leur rire verveux de jeunesse ;
Il faut pour qu’une chose meure, qu’elle naisse
et je ne vois pas là grand motif à kermesse.
Ainsi j’ai parcouru d’un regard dit naïf
les femmes. J’ai voulu disséquer leurs motifs
Et suspendre à VOTRE CROIX ce bouquet votif.
Excusez-moi, l’incohérence du langage
est due très en particulier au tangage
du wagon dont le bois est dur. O Seigneur sage
Lavez mon âme de ses très mauvais désirs ;
Ravivez le cadavre sec qu’on voit gésir,
que cette prière purifie mes désirs :
“Faites que je révère en la femme Marie
en tout ventre Celui qui de Vous fut marri,
en toute gorge celle où Vos dents se marient.
En leur bouche ces mots : ‘Fils, ils n’ont plus de vin.’
en leurs mains, Celles qui berçaient l’Enfant divin,
en leurs pieds, Ceux qui La soutinrent jusqu’aux Fins.
qu’ainsi je ne sois plus porté vers la luxure
que je regarde en face, et goûte la dent sûre
la femme, Votre très semblable créature.”
En train. Frankenthal–Bordeaux 9–19
Toussaint.
Sujet : les corps des camarades parlent.
Seigneur voici le temps des morts. Mes camarades
pourrissent. Sur leurs corps on planchoie des tréteaux
la mort gorgiase cède aux tziganes l’estrade.
Les vifs ont oublié les morts, où le couteau
giclait le sang, des fleurs et des filles embaument ;
soigneux on aplanit les tertres aux coteaux.
France, ils éclamaient leurs viscères et leurs paumes
aux clous, crucifiant jeunesse, amour espoir,
éclatés, sang et chair, parmi tes labours chromes.
ils t’ont fécondée de leur sang quinze cents soirs
et l’accru de la glèbe et l’honneur de la lutte
emportés tout fumants, ils t’en élirent l’hoir.
Pour récompense tu leur offres des volutes
de fumée, où la langue double des rhéteurs
tresse l’antonomase avec l’anacoluthe.
France folle, prostituée aux apprêteurs
de sacrifice et qui consacre les entrailles
de tes petits pour en nourrir des orateurs.
D’aucuns ont dit : “Les morts sont morts dans la bataille,
l’espoir aux yeux, la haine au cœur. Ils furent beaux
et leur âme quittait gaiement sa rouge entaille.”
et moi je dis : “Les morts convulsent leurs tombeaux
et crient : ‘Oyez le plaint de nos langues sans lèvres,
de nos rictus crevés d’obus et de corbeaux.
Paysans, ouvriers, docteurs, bourgeois, orfèvres
nous étions gais de vivre. Au chant doux des foyers
nous apaisions nos cœurs sur des bouches sans fièvre.
Nous vîmes la mort caute sur nous se ployer
cinquante mois, offrant nos cœurs à sa morsure
pour toi, France, espérant de toi quelque loyer.
Tombés, tordus, pareils aux chanvres d’épissure
nous soulions voir ta Face amoureuse, le dœuil
de tes gestes et dans tes yeux des larmes sûres.’”
O France incrédule
Aie pitié de ceux-ci qui te tendent leurs mains
sans chairs, écorchant leurs squelettes aux rotules :
“Ne nous méprise pas, nous qui sommes chemins,
labours ou glèbes, engraisseurs de tes luzernes ;
Vifs nous cueillîmes des vierges et des jasmins.
Nous aimions danser aussi ;
le tuf nu cerne
nos reins ;
nous eûmes des gencives, nous parlions
d’amour, tandis que souffrant l’âcre des casernes.
Nous eûmes des femmes au lit, des galions
aux mers, de l’or en coffre et des chairs aux vertèbres ;
Les glaces amplifiaient nos masques de lion.
Ne nous méprisez pas, nous, mangeurs de ténèbres,
que la pluie et l’orage ont lavés et blanchis ;
nous, gonflés et bleuis de gaz, que le pus zèbre.
qu’elles étaient bises, les roses aux torchis
de ma villa. Sait-il l’enfançon blanc de langes
que son papa n’est plus qu’un monstrueux hachis.”
Ouïs
France, le cri de ces cendres, phalanges
tristes, offrant des cœurs tout torturés d’amour
et reconnais leurs sacrifices dignes d’Anges.
“Les os humiliés se réjouiront.” Ce jour-
là renaîtront d’humus vos fibres et vos cordes,
Reconstitués vos yeux souriront au Séjour.
En attendant, ô conseillers, je vous accorde
ce rythme, comme on verse une libation.
Pourquoi mêler à vos silences, nos discordes.
Attendons en la Paix “nos” résurrections !
Bitche 1–2–11–19
Juif Errant.
pour Eux il n’y a de louange assez citée
Moi la folie me dédaigne, âpre Cassandre
ne sachant pas aux mascarades condescendre
seul quiet aux fièvres sonor’ de ces Cités.
J’écoute ; des prophètes vous n’en suscitez
pas gros. On a beau couvrir sa tête de cendre
et myauder, nul Messie ne veut descendre
pour démêler nos pauvres barbes excitées.
Or voici si longtemps que je m’en vas aux routes.
mes efforts, refoulés d’inertes, en déroute
fuient, mon front pèse au creux de mes paumes, vaincu.
J’ai dénudé l’oie hors l’empennage du cygne ;
Me voici semblable à l’homme aimant et cocu
qui rêve un Désastre—sanglote—se résigne.
10–19
Rondel.
Toute chose est vaine
Seigneur, hors ton Nom
Force, haut renom
pèsent moins qu’aveine.
Membres, muscles, veines
Sont proie à canon
Toute chose est vaine
Seigneur, hors ton Nom.
Aude, Blanche, Yvaine
gorge ou lèvres n’ont.
L’Empereur n’est, non
plus Rome ou Ravenne,
Toute chose est vaine.
11–19
Seigneur voici la grande mésaventure.
Nous allons passer un examen. Je sais
qu’il ne faut guère compter sur le succès
et ces galons or quitteront ma vêture.
Ils Vous ôtèrent la robe sans couture
et moi, ma cervelle est nue aussi, hors ses
bons désirs. J’ouïs l’ange étrange qui passait
disant : “L’esquif est bien guidé sans mâture ;
Sur les houles bleues où piquent les rochers
J’abhorre ceux dont les doigts sont accrochés
au gouvernail et je bénis les aveugles.”
Ma foi tant pis. Des pitances aux renards
et le couteau pour le veau lié qui beugle.
Vide, le vase sera rempli de nard.
11–11–19
Maître voici le temps de la sérénité
Après la fièvre de ce violent cœur instable
l’apaisement dans ces baraques et ce sable
dans le jour qui s’affaisse et meurt dans la beauté.
Maître, Votre grâce minutieuse ôtée
je ne possède rien qui ne soit détestable
Seul oserais-je m’inviter à Votre table
et Vos mets comment saurais-je m’y délecter.
Vous m’avez élu chef d’Arabes et de hongres
mais je ne suis pas moins très ulcéreux et maigre,
Elle m’éreinte l’omoplate, Votre Croix.
mais je ne sens plus la brûlure à mes rotules
et ni l’usure des jointures de mes doigts
quand je goûte le soir, et seul à seul, votre Présence.
chef de la S.M.A. Souges près Bordeaux
Bitche Lorraine
17–11–19
Vous avez mis mes pieds au creux de bien des pistes
vous avez joint mes doigts aux chairs de tant de mains.
J’ai goûté, bleus ou noirs, tant de regards humains,
côtoyé tant de commerçants et d’utopistes,
que je veux, fermant les volets et seul, copiste
insoucieux des horizons et des demains,
m’absorber au tannage lent des parchemins,
lisser l’or et broyer le sang et l’améthyste.
qu’importe que ceux-ci s’agitent, noirs pantins
dont la mimique obscène et le verbe hautain
n’ont nulle communion à Votre Hypostase.
Vanité : Chercher quelque chose hors de soi.
En quel temps, en quels lieux trouverons-nous l’extase
vins bus, livres fermés, chairs prises, tout déçoit.
15–9–19
J’ai fleuré tant de fruits, pêches mauves, bananes
tigrées, contus mon torse à tant de torsions,
traîné mes pieds et mes doigts vierges aux sillons
de tant de chairs franques, britaines ou rhénanes,
manié tant d’outils, bigornes ou bédanes,
tourné tant de saintetés en dérision,
scruté tant de regards, éteint tant d’actions,
connu tout ce qui sauve, aimé tout ce qui damne,
colligé tant de soirs au creux de mon iris
ouï les angélus aux ruines de tant d’Ys
macéré tant de chevelures et de lèvres,
creusé ma paume au contact quiet de tant de doigts
Assoupi sous tant de gorges tièdes mes fièvres
qu’il me tarde m’endormir nu sur Votre Bois !
16–9–19
Annonciation.
L’Ange s’est incliné, Marie vire, pâle.
Que veut-il. Elle ne le sait, et ne s’en chaut
Dieu veille. Sa chambre nue semble un cachot
fleuri d’ailes. Elle a froid, ramène son châle.
“Vous concevrez.” Elle se cabre sous le mâle
apparu. “Comment se fera-ce” penche, haut
lys, son col et des pleurs trempent sa gorge, chauds.
L’Ange explique et bénit de ses paumes d’opale.
l’ultime frôlement de plumes disparu
Marie a médité ces choses, parcouru
les sept douleurs et s’est éprise des 7 glaives.
Alors, mise la table et propre la maison,
elle s’applique sans que blonds, ses cils se lèvent,
à détordre le chanvre aux volutes
du pezon.
5–12–19
France, enfant sur ta gorge où j’ai bu ce lait tiède
Je jouais, enlaçant tes tétins à blancs poings,
ma morsure mutine a constellé de points
bleus ta poitrine veinée, odorante, suède.
Huis te voici cassée et béquillarde, l’aide
te fault. Ceux qui t’assassinèrent, à pourpoints
pourpres, fuient. Blême tu meurs ;
la douleur t’époint
Nul rapproche ton agonie, ô Mère laide.
Or casqué du heaume et chaussant l’éperon d’or
je n’ai pas oublié que tes membres mi-morts,
tes chairs vides me dorlotèrent, ô Nourrice.
Mon cœur empitoyé bat sous le fer. J’accours
et rebrassant ton corps dont les muscles pourrissent
J’y baise à pleines dents ta gorge au même amour.
9–12–19
Seigneur, à ma lèvre ce relent d’amertume,
J’ai vu des camarades gros, rentés, pignon
sur rue. On encense leur gloire champignon,
on les lampionne d’apothéoses anthumes.
J’ai ferraillé
trois ans sous l’acre-bleu costume
écachant ma mâchoire au moisi des quignons,
mes jarrets ouvriers et mes doigts maquignons,
gercèrent leurs efforts sous des cieux de bitume.
puis je suis revenu, Gros-Jean comme d’abord ;
Fils égaré j’avais mangé dans l’auge à porcs
et bu aux crevasses des routes l’eau d’orage.
Ils n’ont pas dit ; “Tuons le bœuf gras et rions.”
J’ai faim. N’es-tu, mon cœur, qu’un noir roc en forage
d’où jaillira, splendide et stellaire, Orion ?
12–19 Paris
Sténographie : Pour
Maître, vous m’issez hors des femmes d’Allemagne
et me voici dedans mes meubles et mes jours
d’hier. Mon cœur et mon corps trop basanés sont sourds
au liant des sièges, aux marges qu’œuvre l’aragne.
Après le Rhin vineux voici l’autre campagne,
et je ris, tel le Juif frais revenu d’Assour
vers son cahuteau frêle dans le blé d’où sourd
en fumerolles la promesse de compagne ;
J’ai ressaisi pareils en un pareil décor
mes amis d’hier, aux doigts adroits, aux cœurs d’accord,
vivant au seul raisonnable désir d’être Anges.
et mon corps et mon cœur ont défailli d’étais
d’avoir (au salon vieux venu, vivace étrange)
Vu celui-ci semblable à l’enfant que j’étais !
1–4–19
Voici j’ai revu ces compagnonnets d’antan
Ils n’ont point rebaisé ma face détestable
Leur cœur n’a point vibré sous ma prière instable ;
ils n’offrirent à ma soif nul fruit tentant.
Pourtant je me suis présenté sans orgueil et tendant
la main. J’ai rincé la vaisselle de leur table ;
(ils aiguisaient leur sécheresse de comptable).
nulle paume n’a rehissé mon front pendant.
Mal blessé, je traîne l’aile, telle l’oiselle.
Là-bas je pensais bien souvent à ces ancelles
de Dieu. Mon cœur s’afraîchissait à leur amour.
Elles ne m’ont offert ni le sel ni le seigle.
Me souhaitez-vous, Seigneur, tant solitaire pour
haut m’essorer, face à votre Soleil, tel l’aigle.
28–12–19
Seigneur voici le temps venu de me tourner
à nouveau vers ces riches rives palatines,
offrant vers celle-ci, sarroise mi-latine,
l’orgueil des strass et ces narcisses du jour nés.
Seigneur, Seigneur, l’orgie aux os clair-atournés
se vrille au cœur des Francs plus qu’au roc le platine
nos hommes par l’offert des corsages, patinent
dans le sang et tanguent, qu’accole la Court-nez ;
pour moi j’ai fort goûté ces rhénanes glaireuses
aux cœurs serviables, aux maxillaires heureuses,
aux blanches chairs, aux chevelures fauve ou blé.
Quand colligerais-je retour des prétentaines,
d’hors la fièvre et l’ahan suburbain (or troublé)
les souvenances de fragrances tant lointaines.
2–1–20
7 ans déjà, Péguy, mort huis, voulut pour don
féal, vous rimer ces vers en même neuvaine.
Je n’encorderai sur son luc ma lyre vaine
n’espérant d’exhausser à son chant ce bourdon.
Aujourd’hui, comme hier, nombreux à ce Pardon
ceux de Paris s’agenouillent, drus comme aveine,
demandant d’un plein cœur que Votre règne avène,
sur l’agnelle et le loup, la rose et le chardon,
et moi qui dans ce soir retourne en jolie Hesse,
Faites qu’en votre espoir je conçoive liesse
d’avoir connu ces monts, ces vignes et ces vaux,
espérant cheminer tôt vers l’Île-de-France
apprendre à vos pieds, les doigts durs, le cœur dévot,
les houseaux, le dolman, et la longue souffrance.
4–1–20
J’ai tant passé de ponts, tant su fuir de fleuves
tant vu fleurir d’espoirs, tant mourir de pistils,
tant cueilli de bouquets, mordu tant de myrtils,
bifurqué mon désir sur tant de pistes veuves,
vu crever tant d’amours, s’effondrer tant de preuves,
convolvé ma raison en tant de sens subtils,
étanché ma douleur au creux de tant de cils,
et fais sonner ma joie à tant de lèvres neuves,
ma prunelle a colligé tant d’ors et de gris,
mon palais tant de sucs mielleux ou aigris,
mes doigts ont ahané vers tant de chairs vivantes
qu’il est juste, qu’il est équitable et greigneur,
ce corps dénudé sur tant d’étals, pour la vente,
l’extendre et le clouer à Vos Crocs, seul Seigneur !
8–1–20
A
Proche Seigneur s’avère la délivrance
après ces 3 ans au cœur gros de sanglots
comme dans la cage le moineau enclos
moi, dans ces gros désirs et ces laides transes.
J’ai bien usé de cales mes paumes, France ;
d’abord j’enfroquai la sueur et le calot,
les reins crossés par des supérieurs falots,
puis ces astres, sillés de fer, durs de transes.
et je Vous dis : “O à nouveau, Maître, nous
retrouver face à face dans le silence ;
teindre à neuf ma phalange au sang de la lance
et mon cœur triste posé à vos genoux
suivant Votre regard qui approuve ou tance
tendre au bois l’échine ou bâfrer ma pitance.”
Landau 26–2–20
B
Seigneur, voici le temps de ma délivrance
Je vais quitter l’uniforme qui strangule
mon cerveau geint, où l’embrun se coagule
mon cœur gémit dessous la morsure rance.
Seigneur, voici trois ans de cris et de transes
les doigts noués aux crins du balai ridicule
ou pelletant la glèbe où la Mort m’accule
la mort couronnée de tes couleurs, France.
si j’ai gagné l’or terni dessus mes manches
j’ai senti la Mort qui me serrait aux hanches,
j’ai scruté ses yeux de vide dans l’orbite.
et c’est pourquoi sur ma face jeune, imberbe
le souvenir sculpteur de rides habite
et au noir de mes prunelles du sang gerbe.
2–2–20
Sténographie : Pour Huré
Elle m’a dit des choses désagréables. J’ai
souffert parce que je l’estime. C’est bien
dur de se sentir méprisé et le chien
redoute la main qui gifle sans sujet.
J’étais venu de bien loin et le trajet
s’était fleuri de souvenirs chastes. L’ancien
enfant que je fus me remontait au cœur (Tiens,
il est mort déjà). Sa face entre mes cils bougeait
Elle aussi elle a bien changé : elle est Madame
avec des phrases narquoises et des gants beiges
quand j’ai vu cela ça m’a fait froid à l’âme.
Alors mon cœur a fondu comme un bonhomme de neige
Je m’ai blotti sans plus rien voir, contre mon Ange,
bête et nu comme un petiot qu’on délange.
11–3–20
Maître, Vous me délivrez du bat
subi trois ans avec grand-misère
marchant porteur d’étranges lisières
dans la houle au fracas du sabbat.
Avec de ridicules ébats
la Mort ; sous d’innommables visières
la Peur ; et caressante aux viscères
la Luxure, seins hauts, jupons bas,
flairèrent toutes trois ma chair neuve
(agenouillée au creux de la nef veuve
d’Hostie) les pieds et le cœur si froid.
Toutes trois me sourirent amènes ;
les yeux clos pour ne pas voir ces naines
j’ai pris mon chapelet dont j’ai baisé la Croix.
(rappelant l’entrée en Lorraine) 17–5–20
Merci Seigneur. Je me retrouve dans la chambre
ancienne, douce fleurante. J’ai l’enfant
d’hier aux yeux et ces poings aux coques triomphants
S’ouvrent sur la tiédeur vieille des feuilles ambres.
je souris de cette photo où le cuir cambre
aux hanches, se taisent les cuivres triomphants.
Ce Buffon m’est doux où passent des éléphants
gris. Je ne voyage plus qu’autour de ma chambre.
Et certes j’ai bu des vins d’or et su des tours
triomphantes et des filles fades affables
mais ce coin retrouvé efface toute fable.
Ces villes belles me sont comme celle d’Our
étranges, et le blanc du volume entr’ouvert
renivre mon iris qu’effleura l’univers.
5–20
jour de ma démobilisation.