ma douce âme d’enfant s’échappe à tire-d’aile
me laissant à la nuit
et je comprends combien mon enfance était belle
alors qu’elle s’enfuit.
Je voudrais près de moi la retenir encore
encore un seul instant
tout au fond de moi-même à voix basse j’implore
j’implore doucement.
Je l’ai compris trop tard que l’enfance était belle
quant on disait cela
je pensais que c’était de vieilles ritournelles
et j’aurais voulu, moi
devenir un grand homme à la noire moustache,
au regard assuré,
ou bien un bel houzard portant la sabretache
et l’habit azuré.
tandis que maintenant, maintenant, je souhaite
d’être un petit enfant
aux cheveux blonds bouclés, l’âme toujours en fête
et tout le jour content..
Or le destin me pousse en avant et je marche,
obligé d’obéir,
et je vois devant moi s’agrandir la lourde arche
où l’homme passe pour mourir..
14 ans avril 1912
Autour la sente forestière
battent les ailes des fougères
un ange pleure longuement, car les étoiles
gouttent en larmes d’or au ciel clair d’améthyste.
Je t’ai vue, je t’ai pu contempler ardemment
sous les brocards soyeux tordant ton corps agile
ondulant tes longs bras chargés de diamants
en la danse mystique, aux poses difficiles,
le col ployé sous la tiare orientale,
Houri de la cité d’opale.
Ses pieds lourds de joyaux écrasaient ma poitrine
Je me tordais comme un serpent. Ses bras nerveux
me prirent. Je baisais sa lèvre purpurine
ardemment. et je fus dévoré par le Feu.
Alors elle me dit, de sa voix idéale :
“Je t’ai choisi comme holocauste, ô, mon enfant,
afin que ton sang pourpre ensanglante les dalles
sous moi. Veux-tu mourir en de hideux tourments
Si tu le veux, dis-le,” et son timbre était doux
elle me regardait agonisant sous elle
je criais “Je le veux. Déesse qu’êtes-vous”
“Je suis celle qui mit à Pégase des ailes !”
novembre 1912.
fragments
du bandeau délicat d’un doigté féminin
voir la mer grise geindre triste,
enveloppante de douceur.
fouillis de glaïeuls hauts et de pois de senteur
multicolore et chatoyant dans la lumière
le coin rustique et clair où la vie exubère
ondule sous ses pas en frissons de couleur.
Vive et gentille sous l’éclat des cheveux d’or
Boxer
C’est par toi que je peux parmi les rocs des cimes
ciseler ma pensée en palpables joyaux.
Je rêve de mots forts pour dire la beauté
luxuriante d’un impossible tropique
où le sous-bois géant de troncs tors est porté
Strophes
Le soleil frissonne.
La chaleur endort.
L’atmosphère d’or
sonne.
dans la roseraie
que le ciel trop bleu
d’un crayon de feu
raie.
Aucun pas ne glisse.
les pétales blancs
sont éperdument
lisses.
Seules, (nobles poses
d’orange et de feu)
s’érigent haut deux
roses.
or l’orgueil les sèvre
et roidi leurs cœurs
du dédain des fleurs
mièvres.
en parfums de flamme
tombant à flots lourds
leur chair de velours
pâme,
cierges que consume
un désir trop haut
dont leur sang à flot
fume,
et qui les fait tendre,
holocauste d’or,
en un bel effort
tendre
vers les impossibles
chimères d’amour,
prenant le ciel pour
cible :
jusqu’à ce qu’en trombe,
au vent tôt venu,
leurs pétales nus
tombent.
5–13.
Il nageait, le poitrail luisant. Son col d’ébène
caressait la splendeur sombre de sa toison,
et ses yeux cerclés d’or brûlaient, fauves tisons,
en inspectant les bords de l’onduleuse arène.
Il dévia vers un coin doux, bleui d’un frêne.
Lascif à son dos lourd mourut un grand frisson
ivre son bec de sang claqua de pâmoison.
Elle le regardait venir, blanche et sereine.
Le soleil, tamisé de feuillage, jetait
à son corps des blancheurs molles qui frissonnaient
et plaquait ses cheveux de taches d’or fluide.
Elle riait de voir l’oiseau majestueux
s’avancer. Les yeux d’or se fixèrent avides,
et Léda fut saisie et nouée au col nerveux.
5–13.
madrigal.
blancheur d’aile
le baiser
a rosé
ton cou frêle.
Laisse, belle,
mes pensers,
blancheur d’aile
le baiser.
Yeux fidèles
ne pleurez.
Vous n’aurez,
tourterelles,
blancheur d’elle.
5–13
Le chœur
de joie
s’éploie
sans peur.
Douceur
me noie
le cœur
de joie.
Ma sœur
se ploie,
dont j’oïe,
trembleur,
le cœur
5–13
rimes fraternisées et serpentines
Lumière et or, joyaux des champs,
chant du soleil dans les blés roux,
au roulis lent berceur et doux
d’où vient le calme aux cœurs saignants.
colliers clinquants, perles et pierres,
errant éclat que le gaz brasse,
bracelets, feux durs, perle ou strass,
chant des joyaux, or et lumière.
fragments :
un grand feu m’a brûlé qui m’a fait bien souffrir,
feu mauvais où le bel et le bon se calcinent,
haleine des charniers où l’âme vient pourrir.
mon âme ardente veut la fraîcheur des racines
et vivre de la Vi(e) des glèbes et des monts.
défroqué de l’ennui poudreux des villes grises.
Je rêve d’un soir rose avec des arbres mauves
encerclant un grand lac, fermé comme une alcôve
où la tristesse grise en clarté d’or se fonde.
mon cœur est un lac clair qui reflète le monde.
vers 7–13
Je suis au moment, le meilleur,
où tout est soleil sur la plaine,
où,[1]rieur,
cueillant les gerbes à mains pleines
je m’essore vers l’avenir
d’une haleine.
L’expérience : pour ternir
l’or assoupli de ma tunique
peut vomir.
La science glace et l’argent pique.
des plis chauds du rêve, je leur
fais la nique.
Drapée d’espoir, sur la hauteur
d’où rubannent les sentes blanches
du bonheur,
ma jeunesse rit et s’épanche
sans prendre garde au doute lourd
qui se penche...
La folle, elle ne sait qu’Amour,
Bonté, vigueur, beauté, jeunesse,
sont d’un jour.
Elle dénigre la tristesse
des vieux et des femmes en noir.
“Les déesses
douces aux fous, me vont asseoir
aux bords frais des sentes unies
jour et soir”
dit-elle. “ma lyre assouplie
muera en chant le bruit banal
de la vie.”
et dans son orgueil triomphal
elle choisit la Lyre-Flamme
pour fanal !
La muse râle aux mains des femmes
mièvres, des vieux crachant leur toux,
des forts.. Je lutterai, ma Dame
contre tout.
9–13
L’ombre bleue
tremble en ronds
sur la queue
des paons.
L’air en joie
dore et lustre
le balustre
qui s’éploie.
La fleur ivre
fait revivre
le classique
vase antique
Diane en cage
sous l’ombrelle
des bocages,
leste et belle
voudrait courre
cerfs et biches,
son sang riche
s’énamoure :
biches feues,
cerfs et faons
raient de bonds
l’ombre bleue
10–13.
fragments
or c’était dans le parc classique
le soir tranquille et fantastique
bleuissait les marbres antiques.
Diane la sage demoiselle
l’arc en main, courait, blanche et frêle,
un faune riait sur sa stèle.
“La nuit s’annonce au ciel vieux rose.
Quittons nos poses
académiques.”
dit Diane s’asseyant au bord du socle antique.
Le Faune desserrant son sourire de marbre
aspira la fraîcheur éparse des grands arbres
et ne répondit mot.
Diane aux frondaisons, triste, prit un rameau.
“L’homme est vieux. La terre lasse
agonise. Le temps passe
sur l’âme sans l’achever ;
elle râle ce soir rose
car les effets et les causes
la gonflent sans l’abreuver,…
l’homme agonise, mais qu’est
l’homme devant la nature...
dort en paix. La cité rouge
hurle et râle, âcre de sang.
des étoiles plein l’étang.
cime ou feuille, nul ne bouge...
à d’autres, lâches et sots
d’oser fuir sous les assauts
du monde qui hurle et grouille.
Sachant que notre acte est bon
la gloire au cœur, nous tombons,
puis la foule à nos chairs fouille.”
Le faune murmura “Ma chère, je vous aime,
mais l’hiver va venir, qui défeuille les arbres.”
13
Un long et lourd regret a fait de moi sa chose
depuis que le travail journalier m’a pris,
mais la plaie, aux longueurs des jours s’est si bien close
que du regret mélancolique je m’épris.
Le rêve d’or, de sa corolle éclose
ne perce plus le tain du fleuve gris.
Je ne m’attarde plus à l’extase des roses,
vaque et coudoie, au long des trottoirs gris.
J’écris sur de l’algèbre et de la prose,
et je le livrerai ce Fantôme, au mépris
de mon cœur, de mon cœur qui s’obstine et s’oppose
et je l’égorgerai, Celui dont je m’épris !
11–13
J’attends. L’émoi divin
félin souple, se glisse
vers mon âme encor lisse.
Le lys blanc, svelte et fin
se pâme, fibre à fibre,
au vent d’Amour qui vibre !
Sa chair cabrée, en vain
roidit, lutte, s’énerve,
en fin la reine est serve ;
et toute, or et parfum,
cœur pur, toute, elle roule
au vent qui hurle et houle...
Je vois sans voir. J’entends
sans comprendre. La foule
pleure ou rit. Seul, j’attends.
1–14
La fraîcheur paisible des cieux
met un calme à nos fronts soucieux.
savourer l’heure est impossible.
Le Travail attend, impassible.
il nous faut porter le tribut
d’anciens rêves mis au rebut.
dans l’âme neuve et le corps jeune
l’assoiffant désir du beau jeûne
on voudrait s’arrêter aux bords
frais et cueillir des boutons d’or.
on voudrait s’emplir les narines
d’effluves longs d’algues marines,
on voudrait reposer ses mains
sous l’herbe lisse des chemins.
on voudrait rafraîchir ses pieds
désencombrés des lourds sentiers
et l’on voudrait calmer sa tête
en blancs pensers[2] d’enfant qui tète
mais le travail infatigable
nous amène à la même table
7–14
Le fleuve d’or rutile sur la berge.
En ce soir calme et reposant, j’héberge
le rêve frais et la rime sonnante.
Ce soir, j’héberge et l’amant, et l’amante.
Je les ferai asseoir auprès de moi
et laisserai glisser leurs mots tous frais d’émoi
au long des bouquins gris dont la tranche a jauni.
J’aurai plaisir à voir et l’ami et l’amie
enlacer leurs deux voix en rythmes d’allégresse ;
comme le chanvre aux mains des femmes de la Grèce
leur chant dévidera, du soir gris au matin
rose, la paix de l’âme et le travail des mains ;
et moi-même, accoudé au rêve, coussin mol,
je verrai s’enlacer leurs bras, ployer leur col
et leurs lèvres unies, la tâche faite, au jour,
goûter le fruit tranquille et chaste de l’amour…
La berge est bleue, le soir rose tremble aux cimes,
et je me suis laissé glisser au fil des rimes.
7–14
fragments
Ah ! Tu peux redresser ta taille et te gonfler
du vain et jeune orgueil de savoir t’essouffler
et rire et boire aux ruisseaux frais lamés d’argent
et de t’extasier au frisson décevant
d’ombres que fait l’envol prompt des papillons blancs,
et d’aimer la lumière avec des yeux d’enfant.
Le rythme : un argile
mol où la pensée
agile
s’est posée.
La rime riche est implacable et mensongère,
marque d’esprit subtil qui fait pâlir l’artisan d’art
mais jeu de mot pour le fou qui même en songe erre,
le rêveur qui du Feu sentit l’attisant dard.
Le rêve gardera ce boulet qui l’attache
au pied des sentiers clairs que son fol âge aimait
et sur la lyre d’or où s’élargit la tache
d’ombre, les cordes-sœurs sont froides à jamais.
La trompette barrit monotone où[3] mieux perce
la symphonie ardente et lourde des mots sourds.
sur le tissu d’anémone atone ou vieux perse
le rouge bœuf ou le vert vert (tons d’émaux) sourd.
Car chaque fin de phrase implacable ramène
le mot, le mot qui fait songer à son pendant.
Le rêve sous le fouet qui l’accablera, mène
la Rime, avec l’Essort à son arçon pendant.
La dépouille héroïque et saignante frissonne
sous la commère qui raillant ces yeux vidés
rit. “ce fou la folie enseignante est frit ! Sonne,
carillon du Bon Sens, par les cieux dévidé !”
7–14.
J’écrirai d’une plume
houleuse comme au Raz
la mer, jusqu’à l’allum-
age des becs de gaz.
mots sveltes d’hirondelles
sombres au sentier clair
et qui partiront d’ailes
plus aigu(e)s que l’éclair.
La critique est facile
mon cher Monsieur mais l’Art
est difficile. mille
pères mordent au lard
amère du malheur.
trop heureux s’il en reste
un pour savourer l’heur
du laurier qui s’appreste.
ô la boue de Paris.
Je voudrais du tuf meuble
bien loin des remparts, y
déménager mes meubles
ma chronique rimée
ma personne élimée
ma lyre et mon stylo,
et sur la glèbe aimée
laisser glisser l’année
au fil de l’eau.
tout m’énerve, ce soir, le bruit et le silence,
la lampe claire et le soir bleu.
mon âme fatiguée et lasse ne s’élance
plus là-haut et les spleens passent, à queue-leu-leu
au long des recoins bruns où du jour agonise.
que ne suis-je tranquille et simple. les pensers
subtils m’ont corrosé l’esprit. pour effacer
la marque (dure et crue au front) qui s’éternise
et qu’a scellé la Ville avec sa lourde suie
en un triple cachet de feu, de sang, de flamme,
il faudrait je ne sais quelle pureté d’âme,
quelle candeur de vivre une sereine vie,
et quelle lèvre au front qui console et soutient,
telle qu’il n’en est pas dans ce monde, le mien,
car peut-être, là-bas, sont des cités de rêve
où l’homme, en achevant sa tâche, rit et lève
un regard frémissant d’Amour, là-haut, vers Dieu
et redressant sa taille à la splendeur des Cieux,
franc, secouant la sueur dont sa chair s’est polie,
plonge un regard profond et simple sur la vie.
Pour nous, la tâche faite et le devoir bâclé,
l’ennui terne agitant ironique ses clefs
de fer qui défendent l’approche des joies fraîches,
nous enfiévrons nos fronts au jeu de nos doigts rêches,
et notre âme alourdie et lasse se tapit
dans le rêve mauvais des romans impossibles,
chien crevé, dont le sang caille au bleu du tapis.
7–14
Je saurai l’inanité des rêves
et que tout espoir est déficit.
Sachant que nos cœurs peuvent seuls leindre
le tissu moiré de nos futurs,
que nous forgeons de nos sangs l’Azur.
là-bas peut-être est-ce ici
même fard au coin des bouches
même ciel transi
même foule qui débouche
admire ou critique, et part,
même candeur louche.
même ennui de vivre, épars
au flot des pensers morbides
dont chaque à sa part.
même éclat de rire acide,
qui mord à mon front craintif,
même âme cupide.
ville où tout art est lascif,
toute blancheur violée,
tout amour fautif,
où la pudeur immolée
à leurs vieux désirs humains
s’en est allée
par les chemins.
fragment
7–14
avant le départ pour Fribourg.
fragments :
l’Immortalité
trompette, hors d’haleine
“J’ai ressuscité
l’Idéal hellène.”
Crève
Rêve
blanc.
Sombre
dans
l’ombre.
le sot travaille et le fou pense
le corps halète et se dépense
la “raison” butte au gouffre noir
et tout l’azur splendide étreint nos désespoirs
7–14
Fuis, belle...
le vin
l’art vain
m’appellent.
modèle
l’airain
burin
fidèle.
ô sculpte,
occulte,
l’amant
qui prie ;
l’amie
qui ment
7–14