Elle repart,[2] très lentement,
S’appuyant sur une béquille,
Et va rejoindre la famille
Des jours qui furent le présent.
Ton[3] ton fluet et chevrotant
Chante un menuet qui sautille :
Elle repart[4] très lentement
S’appuyant sur une béquille.
Se dirigeant vers le couchant,
Vieille qui se recraqueville[5] :
La tête dans une mantille,
A tout petit pas, trottinant,
Elle repart très lentement.
Le souvenir est un charmeur
Qui distille tous les parfums,
Tous les parfums de la jeunesse
Et qui les redonne à mon cœur.
Il en fait des bouquets divins
Dont il embaume la vieillesse :
Le souvenir est un charmeur.
Le souvenir est la douleur
Qui fait penser à l’être aimé
Qui vient de s’envoler de terre,
Il rend plus vif notre malheur.
Papa prend son
Inhalation
Dont la fumée
Est parfumée
D’une[6] senteur
De rose en fleur.
Si la vapeur
a cette odeur
C’est qu’elle touche
Un peu la bouche
Du cher papa
Tra la la la.
C’est le rondeau des mains noires
Qui peuvent prendre couleur blafarde
Que quand dans l’eau où les attarde
Le temps voulu, c’est notoire
Avec savon blanc bleu de moire
Et dit celui qui les regarde
C’est le rondeau des mains noires
Qui peuvent prendre couleur blafarde
En les suçant entre les mâchoires
Par le bout des doigts le blanc darde
Le reste des mains à blanchir tarde
Il faut l’avoir vu pour le croire
C’est le rondeau des mains noires
Pierrot sortant du cabaret
Ne dit pas bonjour à la Lune.
Cette pauvre dame en pleurait ;
Et pourtant, Pierrot n’en vit qu’une.
Il n’en vit qu’une, qu’une Lune.
Car, lorsqu’il boit trop de bon vin,
Souvent au lieu de n’en voir qu’une,
Le pauvre Pierrot en voit vingt. [7]
Mais ce jour-là, c’est autre chose.
Le blanc Pierrot n’était pas gris.
Non, non c’était une autre cause.
Madame la Lune vieillit
Sur son front sillonné de rides
Les siècles passent sans répit
En laissant leurs marques arides.
Sa peau si pâle en a jauni. [8]
Son visage est tant aminci
Qu’éclairant la terre endormie
Son ombre est blanche, blanche aussi.
Tandis que Pierrot qui s’enfuit
Pense un peu tard à sa Pierrette,
Madame la Lune vieillit,
Se traînant par le ciel, seulette.
Mélancolique elle repense
Au temps de sa divinité ;
Maniant l’épieu, la lance,
Jeune Diane, Isis, Astarté.
Alors toute une grande race
Adorait son soleil falot ;
Mais, hélas ! Tout casse, tout passe. [9]
Pierrot, c’était bien le dernier
Devant[10] rester amoureux d’elle ;
Rêveur n’ayant[11] pas un denier
L’empêchant de battre de l’aile.
Mais il est parti, son Pierrot…
Qui pourrait adorer la Lune ?
Elle n’a pas un sou de dot ;
On n’adore que la fortune !
Alors qu’au commerce
Pour logis on perce
Vite un temple Perse
A l’or
Bah ! l’ennui prendra
Vos ors et les rats
Rongeront vos bras
Ballants
Oh ! Perdez jeunesse
Pitié, douceur, liesse
Si la rente baisse
Au pair
Et souvent au lieu
De rire au ciel bleu
Vous fermez les yeux
Et soûls
De sentir[12] sous l’ongle
Les louis qui jonglent
Sans penser aux jongles
De sang,
D’effroi : Ceux qui pleurent
Devant vos demeures
Et qui souvent, meurent
De froid.
[Probablement 1914]
Accouché d’un humble ouvrage
J’ai la rage
D’émietter ses feuillets blancs
De mon âme à la rafale
Où dévale
Chêne fier et lys tremblant
Qu’adviendra-t-il de ces pages
Où le page
Jeunesse a posé son ris ?
Puis-je nourrir dans mes transes
L’espérance
Qu’il n’est bon pour les souris ?
Mais non car c’est ma pensée
Dépensée
Rimes et rythmes divers
C’
……………….
Chantons le repos, l’oubli
Ennobli
De rêve, et sachons qu’un livre
Nous délivre
De tout mal quand on le lit.
Jetons un voile trompeur
De candeur
Sur la Vérité, négresse
Dont la graisse
Ne peut cacher la hideur.
Ah ! Par pitié, par émoi
Couvrez-moi
L’œil sanglant de cette borgne
Qui vous lorgne
Plus haineux qu’un chien danois
Et pesez, royal et lourd
Du velours
A ses deux jambes cagneuses,
Que la gueuse
Soit belle par ses atours
La colombelle tendre frise
Sa plumage blanche et l’élise
Et moi povret que tout ennuye
Je la regarde et je l’envie
Et je préfère vraisement
D’être oiselle que d’être amant.
Prends et comprends.
[Probablement 1914]
La doulce automne s’a fini
Dolentement. La brise emporte
Doulx nœuds de perle désunis
Rêves brisés[13] et feuilles mortes
Rêves brisés, et feuilles mortes
Parmy la berge sont fanés
Le neigeux ciel s’effloche en sorte
Que la terre est blanche d’ennuys.
Jà les frimas sèchent le nids
L’oisel est mort. La branche torte
Siffle et cède, et coule parmy
Rêves brisés et feuilles mortes
Prends et comprends.
[Probablement 1914]
Les portes qui s’ouvraient sont rogues et fermées.
Ce n’est plus l’heure
De rire en respirant les fleurs
Aimées
Tels qu’avant, les bateaux Se mirent dans l’eau calme
Le fleuve roule
Et brise sur la berge où s’effeuillent Les palmes
Qu’aux pieds je foule.
Ici jouait l’enfant riant du rire
Vivant et large
Maintenant sur la page vierge vient s’inscrire
Du sang aux marges.
Ici riait l’enfant sous les grand arbres
Aux troncs robustes
Maintenant il chemine, triste et le temps marbre
De froid son buste
Tant d’autres ont pleuré, tant d’autres ont vécu
La lance au cœur
Qu’il ne faut point broncher, mais le destin vaincu,
Mourir vainqueur…. .
Mais à quoi sert l’orgueil, Maître vos paumes broient
[Probablement 1914]
Les astres d’or !
Pèsé-je autant, chétif,
à vos poings qu’à mes doigts
Cet oiseau mort.
Non je ne serais rien, si votre amour primé
Ne m’eut pris pour
Minutieusement, me fondre et me tourner
A votre tour
J’ai dit
Ô Maître plus loué
Ô Seigneur la tristesse étreint l’homme et le tord
Dans son étau
Et c’est dur lorsqu’elle le griffe un peu trop fort,
Un peu trop tôt.
traduit de la sténo faite à Poissy.
1914 ?
rimes plates.
Bienheureux les cœurs purs Seigneur. Oh bienheureux[14]
Ceux-là qui rient, Ceux-là qui pleurent, et tous ceux
Qui ne s’inquiétant pas des plaintes éternelles,
Blottis dans la Foi, dorment bien au chaud sous l’aile
Frileuse[15] du Devoir Accompli. Bienheureux
Ceux qui goûtent déjà le fruit suave des cieux.
Ils n’ont jamais franchi la limite permise.
Ils voient. C’est à ceux-là que la joie est promise,
Seigneur mais à ceux-là qui ne voient pas, à ceux
Qui tremblent, la moiteur fiévreuse au front soucieux
D’ouïr mélancolique, et lourde, bruissant d’astres
Fantôme de folie et courrier de désastre
Gémir la Nuit jetant son voile sur les cieux,
A ceux-ci qui tremblant en vain cherchent_____[16]
Jetés[17] à la rafale, resterez-vous sourd,
Seigneur, ils ont péché d’orgueil, mais donnez pour
Les guérir la candide humbleur de l’Amour.
[Probablement 1914]
strophes, 9–14
Il est beau de vivre pour l’art
D’une vie albe
D’aimer le délié d’un galbe
Et d’abhorrer l’or papelard
Certes il est beau de fustiger
Toute bassesse
Et, tremblant d’amour, ériger
Un temple à la bonne déesse.
Mais il me semble encor plus beau
Broyant sa plainte
Comme les serfs au long des plinthes
De s’ahaner jusqu’au tombeau.
Sept. [18] 1914.
Cabré sous le coup de fouet de la haine sœur
d’orgueil, j’ai senti le point de sa[19] rude gouge[20]
Orgueil ! Je l’avais déchiqueté mais il bouge
encore. Le cobra dégaine hors des fleurs !
Et j’avais revêtu la haire de douceur…
Mon cœur âcre de sang, ivre de vin voit rouge
Et je titube dans l’obscure, hors du bouge.
La lame brille aux cris de stupides douleurs !
[Probablement 1914]
Ce monde-cy n’est pas tel un branchaige
Où faict son nyds la tourte au souple col
Où se délecte ou lisse[21] son plumaige[22]
Ou dort, où se rameine ses longs vols :
Sommes çà-bas, sains cum l’aluette
Qui, hérissé de frimas, crye la nuyct
Mais ossitost que le doux soleyl luit
Droict aux haults cieux, s’élance d’une trette.
Doncq supportons sans gieindre la malheure
Pisque souffrance est lot à l’univers
Et que bien toct nous essoirrons devers
Celuy qui trosne aux célestes demeures.
3 Nov. 1914.
Autre version.
Ce monde-cy n’est pas tel un branchaige
Ou fayct son nids la tourte au sople vol
Ou se delecte ; ou se lisse plumaige
Ou chaique jour se rameine son vol
Somme ca-bas ains komme l’aluette
Ki de froid krye ; pantante tote nuict
Mays ossitot ke le doux soleil luict
Droyct aux haus cieux se bande tote drette
Doncq suportons sans gindre la malheure
Pisque Soffrance est lot à l’univers
Et que biens toct nous essoyrons devers
Celui qi throsne aus célestes Demeures
La mort n’y mords
[Probablement 1914]
Je chantais sans savoir ce qui chantait en moi
Et maintenant voici que le printemps, le mois
De mai s’éveille avec un sourire qui fleure
La sève et je voudrais tant sa force m’effleure
Les yeux fermés, pâmé sous le pommier qui ploie[23]
Laisser mon cœur
d’enfant naïf
Sauter de Joie.
Mai 1915
Seigneur vous m’avez donné la paix
La paix dans la tourmente
Le travail goutte à mon front mais
J’ai la douceur pour mante
J’ai la paume rude et les doigts gourds
Et le calme du repos pour
Etendre dans l’eau fraîche
J’étais blotti dans vos bras
Seigneur, frêle oiseau
Vous chantiez là haut.
J’écoutais ci bas.
Rimes plates.
Jusqu’à ce jour j’étais resté au nid
Seigneur, votre Bonté l’avait permis
Vous me jetez dans la tourmente
Que votre volonté soit faite.
Blotti dans la laine mon cœur
Battait[24] timide, un peu moqueur
Quand jeté saignant sur la route
Je connus l’angoisse et le doute. [25]
Vous l’avez pétri dans vos poings
Ce cœur[26] encor tiède des soins
D’une mère, et l’orage brise
Sa mollesse et sa mignardise.
L’oisellon nu s’était dressé
Votre souffle l’a renversé
Hors du nid, sur les rouges[27] mottes…
Son agonie est laide et sotte….
Il ne piaille plus[28] car Les vers
Ont dévoré son crâne ouvert…
………………………
L’astre ajouré en fines aigrettes
Les os frêles du blanc[29] squelette
Seigneur, ayant osé, pâle fixé le Gouffre.
La sueur me coulait au front : Une âcre odeur[30]
Fumait, qui vous prenait à la gorge : L’ardeur
Du soleil s’émoussait au ras des rocs de soufre.
Et, dans l’obscurité glauque, des larves[31] molles
Se traînaient et crispant leurs membres sur le mur
Inflexible, des corps montaient[32] vers l’astre pur,
Poussés d’une pensée[33] envahissante et folle…
Quelques-uns plus[34] hardis hors de l’arbre émergeaient,
Sous moi, et je voyais s’irradier leurs prunelles
Du jour rose, baignant les cuves éternelles !
Un instant. . . puis vaincues, lâchant prise, ils plongeaient
Au gouffre. . . mais là-haut, larmes d’or épanchées
Les étoiles d’amour tremblaient vers eux, penchées.
Mars ? 1915
O le calme du jardin
Dans le soir aux tons éteints
Quand le soir aux toits s’éteint
Les cimes d’arbres se bercent
Sur le ciel lilas et perse.
Des arômes apaisants
La bonne brise nous calme
Au vent de ses fraîches palmes
Et nos labeurs et nos haines
Se fondent à son haleine
La nuit attiédie repose
Des mensonges et des poses.
O pouvoir sortir des flots
Boueux qui vont à vau-l’eau
Juin 1915[35]
Le ciel était bleu[36]
Bleu comme tes yeux.
L’arbre frémissait[37]
De chants d’oiseaux
Et tout le soleil
D’or
Dorait mon cœur !
J’étais sans rancœur.
[Probablement vers juin 1915]
La ruche dort. Plus de cris : [38]
Le repos. Plus de bruit
Le silence. O la bonté[39]
De la brise et la montée[40]
De parfums. L’heure extatique
Chante l’immense cantique.
[Probablement vers juin 1915]
Il est beau de porter le rire qui dédaigne
Sans murmurer
Et domptant notre orgueil qui hennit et qui saigne
De l’emmurer !
Puis, laissant le bec noir mordre, avant que s’aigrisse
Notre douleur
De mourir d’une mort lente sans que jaillisse
Un cri du cœur.
1915
Quatrains
Comme au clair de lune / un jet d’extase
Avec des reflets / de chrysophase—
Seigneur / j’ai jailli vers vos lointains
Avec un grand désir / de souffrance. /
Seigneur, vous le Père, avec quel charmes
Savez-vous bercer nos pauvres larmes
au rythme inconnus de nos désirs,
Quand le monde gémit / dans vos paumes
Seigneur tout puissant par quel merveille
Votre Voix s’abaisse à nos oreilles
Comment versez-vous à chaque cœur
Le baume attendri de l’Espérance !
En vérité ceux qui désespèrent
Sentiront un jour vos mains de père
Tristes, caresser leur mauvais cœur
Et les reniements de la détresse
Fondront comme cire à leurs[41] caresses !
J’ai jailli vers vos lointains, Seigneur.
Sonnet irreg.
Pas d’orgueil. Rumeurs
Taisez-vous. Je monte !
Le vieil homme meurt,
Seigneur et j’ai honte.
J’ai honte, Seigneur
Gueux qui joue l’archonte
J’ai tari mon compte
De péchés. J’ai peur.
Dans la pénombre
Gémit[42] le nombre
De mes erreurs. . .
J’ai vu descendre
Globe[43] angoissant
L’Orgueil en cendre
Vers[44] l’Océan.
Mon cœur sec voudrait se rafraîchir en vous, Maître
Il n’oserait s’étendre à vos pieds ni debout
Confesser la fureur de ses désirs de boue.
Mon cœur transi, novice, ne sait pas où se mettre
J’ai compris que celui qui manie les mots, lettre
à lettre, et construit la période où boût
La “Pensée” n’est rien si son cœur n’est pas en vous
L’inanité de nos espoirs et de nos transes[45]
Rués vers l’incertaine et fragmentaire récompense
Nos tristesses nos joies, le tourbillon sans fin
Roule : Lucre Amour gloire, Hors de Vous tout est vain.
Août 15
Des mots ! Des mots, Des mots ? Il n’en faut plus Seigneur.
La lime s’est brisée entre mes doigts tordus
Et puisque vous m’avez frappé, que j’ai mordu
Ma chair d’angoisse, je laisse sourdre mon cœur
Plus de littérature étrange, la douleur
Est saine qui s’empourpre, et franche qui se tue,
lorsque les Nerfs de ma lyre se seront tus
S’élèvera le chant tranquille des Vigueurs.
Pourquoi semer la graine inerte des cerveaux
Offre-leur la proie palpitante de ton cœur
Fais gicler à leur lèvre pâle un sang nouveau
“Qu’as-tu fait” et non “Qu’as-tu lu” dit le Seigneur
ivre ! . . Au jour du Jugement qui gronde dans l’orage…
………………………………………………
Tu comprendras le néant morne de ces pages…
Oct 15.
Le 19ème siècle a drapé dans l’hermine
et la pourpre, la Science chauve et son scalpel
Puis ayant[46] dureté leurs[47] arrêts sans appel,
Il élit[48] les savants[49] rois de notre vermine
Comme la taupe qui terrasse et qui chemine
Poudreux, ils disloquaient la glèbe maternelle
Le monde, anxieux, tremblait à chaque coup de pelle
D’ouïr la vérité jaillie du fond des mines !
A travers l’espace, et le temps, et l’homme, et Dieu
Ils fouinèrent. L’espoir naissait en nous. Les cieux
[Noir] Fumaient, cachés de remblais monstrueux de cendre
Leur nez gris reparut à fleur de terre, un soir
“Nous sommes descendus jusqu’où l’on peut descendre”
Dirent-ils “Et qu’avez-vous vu là-bas ? ” “Du noir…”
[Probablement entre novembre 1915 et février 1916]
Dans le jardin permé de la douleur humaine
Par les sentiers couverts, silencieux, perfides,
Aux creux des bosquets noirs, au long des vasques vides
Les uns sanglotent et les autres se promènent.
Les uns sanglotent et l’homme rouge les mène
Au travers des halliers épineux et avides
De sang pour l’agonie haletante et livide.
Les autres, deux à deux, vont, quiets, pieux, amènes.
Les uns pourrissent vifs, sous les baies, fleurs exsangues
(Les doigts crispent, les yeux dans les paupières, tanguent)
Et les autres, sans se hâter par l’avenue
Droite, atteignent aux bords fleuris de la margelle
Où dort, millénaire et scellée, l’eau connue
Sceau de granit secret, que l’Amour seul descelle
Sur l’arbre mûr qui sous l’assaut des stupres, tangue
Sous la gouaille de vos serviteurs, et les rots
des démons, et le fiel scellé contre la langue—
Févr. 17
La pâte est sur la pelle, blanche et malaxée de main de maître
Encore une fournée. Oh ! la chaleur du four qui lèche
Elle en sortira croustillante et dorée, nourriture pour les maxillaires divines.
Comme le bouc noir presse entre les flancs rudes de ses compagnons avec devant et derrière le moutonnement des dos amis.
Poussée vers la pierre lustrée de sang, la corne nouée aux poings des sacrificateurs.
Et sans comparaison aucune de pain ni de bête,
Moi et ces quatre membres que vous m’aviez prêté, je vous les rends. Mon âme eut le temps d’y prendre moule. Elle les reconnaîtra pour l’éternité.
Et ce quelque chose au bout de mes doigts, prêté, je vous le rends. —Il n’a pas eu le temps de venir à maturité. Sans doute sa croissance eut été funeste—Mieux vaut[50] le blé vert que l’ivraie mûrie.
A peine avais-je pris pied, voici qu’il me faut détacher de ces choses
où il n’y a point d’éternité mais des instruments dans le temps.
Aujourd’hui ou demain toujours la brebis rentre au bercail, le poisson au vivier et ses 2 ouïes sèches reprennent vie.
Il n’y a pas ici choix de mon orgueil mais obéissance à Votre Volonté.
Et je ne mourrais point pour un drapeau, pour cette[51] étoffe et ce bois. ni ces mots où ricoche le rêve,
ces choses creuses, ni pour la France ce flambeau, cette grande nation,
mais parce que c’est Votre Volonté que je souffre sur ce coin de terre, que je meurs pour une France charnelle et imparfaite.
Il y a des villes ici et des hommes
Il y a des charniers ici et des pécheurs[52]
Et moi-même charogne et la boue jusqu’au dessus des sourcils
Mais il vous a plu de me signer de cendre—et votre Chair délectable dans mes entrailles
Et malgré ma misère et cet esprit de propriété (comme un bandeau sur ma lumière)
il vous plaît de me faire souffrir pour que votre règne arrive enfin sur moi et mes camarades d’iniquité.
Il suffit d’une acceptation.
O Cœur charnel de mon Sauveur donnez-moi cette[53] Acceptation aux Olives, malgré le sommeil ligoté de moi-même contre moi-même, pour Vous !
Voici que vous avez vu ma faiblesse
Trop faible pour l’expiation éternelle,
“Qu’il souffre une part dans le temps”
Je me suis réjoui dans mon orgueil
J’ai dit “Ils immolent l’agneau pour les boucs.
Mon sang fructifiera en délivrance”
Maintenant j’ai vu ;
Ma toison est noire et je ne suis pas l’agneau sans tache
Mais le bouc prévaricateur
Et ma souffrance n’est pas pour ceux-ci
mais propre, réponse fragmentaire au courroux divin.
Voici que je suis plein de vie, mais déjà le cou dans la lunette. Il y a le panier devant et une foule qui regarde
O votre bonté sur ma faiblesse, Maître
Voici qu’il me faut abandonner toute richesse et suivre la loi de votre Pauvreté.
Voici que je vais être seul, comme l’anachorète, et cependant au milieu du monde
dans la prière manuelle, le travail de tous les jours.
Voici que j’aurai[54] la tête fléchie devant des supérieurs et l’habitude quotidienne
Mais il n’y a pas d’abbé avec sa crosse ni de Livre pour la Règle.
Je ne me plairai plus aux divagations de la langue et d’un coup j’embrasserai le travail quotidien.
Et même cette vanité de ma crinière
Elle tombera et ce ne sera point la tonsure mais le crâne nu.
Voici que je ne désespère point parce que c’est vous qui le faites.
Vous m’avez laissé mûrir comme un fruit. Maintenant il tombe dans l’herbe grasse
Ce ne sont point des créatures vaines, des fantasmes égoïstes mais des êtres réels, avec un but et les moyens d’y atteindre.
Vous me fîtes non pour moi, mais pour vous et mon rendement sera meilleur ainsi.
Ma mère saura pourquoi elle m’a créé quand elle verra ma chair qui râle, car le râle est agréable à l’Oreille du Très Haut.
Parce que je l’ai offensé dans ma chair et l’esprit, et que j’ai honte de ces stigmates ignominieux superposés aux Siens.
Il est temps qu’il me donne sa Force et j’accomplirai sa Volonté.
Ainsi soit-il
[Probablement après février 1917]
Et j’avais “enrichi” mon esprit, et mes paumes
Palpitaient au contact esthètes des camées
Ma narine gonflait, lourde d’ombre et d’arômes
Mes prunelles scillaient aux teintes des ramées[55]
Me voici redevenu pauvre. O le pauvre homme
Il ne possède que ses pieds, ses mains, ses dents,
Et cette lassitude étroite qui l’assomme
Et ses yeux se sont clos et ses doigts sont pendants
Et son esprit est gourd : Même les mots, brasiers
Qu’il voudrait doux et chanteurs sur son agonie
Sa lèvre les ressasse et son cœur les renie
Avec encor, le goût de la mort au gosier
Et son amour vanné s’enlise au fleuve trouble
[Probablement fin 1917 ou début 1918]
Soyez béni, vous qui m’avez rendu semblable
aux autres hommes et sans dorure ou galons ;
béni vous qui m’avez broyé sous les talons
de ces hommes qui sont d’autres hommes comptables.
Il est dit : “L’obéissance est irresponsable. ”
Vous m’avez saisi aux cheveux tel Absalon,
traîné hors des parloirs, parlottes et salons ;
vous m’avez établi dans l’humilité stable
Soyez béni Vous qui m’avez chargé sur deux
épaules la douleur, car mes pieds sont hideux,
crasseuse ma figure et gourde ma cervelle.
Nulle enfant ne me lie au rêve séducteur.
Seule, ma mère attend, humble, de mes nouvelles,
car je ne suis pas officier, mais conducteur.
7—2—18.
Voici le tiers de ma long journée à son terme.
Qu’ai-je fait, qu’ai-je fait pour te complaire, ô Dieu,
Sinon sacrifier aux idoles des Thermes.
J’adorais ceux qui n’ont nulle oreille et point d’yeux.
L’encens volute en core vers la Vénus louche,
la ménade mi-nue et l’Œgipan odieux.
Comme la mère donne la soupe, la louche
exacte, ainsi sera réparti le Terrain
au jour que l’humble prévaudra sur le farouche.
Le Seigneur jugera, qui sonde cœurs et reins,
suscitant les os humiliés hors des plaines,
au soir que se fendront les sourds vantaux d’airain
(Ma mesure sera minuscule et mi-pleine
ma chair nue et mes mains sanglantes de boucher,
Ce soir que n’allégera l’aile des phalènes).
Le cor par la lèvre trois fois sainte embouché
précédera l’envol des confesseurs, des vierges
et des martyrs, à tous carrefours débouchés.
Ne crains pas ici-bas la morsure des verges
mais plutôt le rugissement du lion rôdeur !
(donc guide le porteur et fouette le sous-verge).
subjugue ton désir multiple et maraudeur,
ton imagination trop prompte à l’alarme ;
Eteins-toi, volupté, couleur, mémoire, odeur.
C’est pourquoi, barillet chargé, le poing à l’arme,
j’avance dans la boue et les ténèbres verts
(de vous le chignon blanc des mamans parle, larmes).
Lorsque Dieu même, dans la mort, en un revers
de paume, couchera mon âme des plus nues
où seront l’or, la myrrhe, et l’hermine et le vair.
Tel Dieu sur la Cité dit “Tu m’as déplu. Nues
broyez-la de tonnerre et fondez-la d’effroi”
mon âme glissera aux gorges inconnues.
ignorant où et quand bleuira mon chef froid,
où et quand il faudra laisser toute science
pour paraître plus haut que n’est haut le beffroi.
Crains-tu pas avoir jà lassé Sa Patience.
8–2–18.
Ange, ange familier qui veillez à mes heures
connaissez-vous, connaissez-vous l’heure meilleure.
Dès l’enfance, ma vie est pleine de foleur,
âcre et douce, telle au pistil certaine fleur.
Sanglotant lorsqu’il faut se coucher à sept heures
et riant devant la tasse chaude et le beurre.
Voici l’étude avec sa régularité.
Entre la montre et elle, il y a parité.
Les jours passaient comme des chiffres bien dans l’ordre,
Dimanche, dans la liberté on pouvait mordre ;
et au bout de chaque année étaient les vacances
passées à Poissy où naquît Louis de France.
Voici la toute adolescence, où l’on s’émeut,
qui semble, du printemps à l’Eté lourd, le nœud.
Là l’imagination et la tempe s’enfièvrent ;
et Satan, comme ses enfants chéris, nous sèvre.
alors il faut parer aux luttes du malin ;
beaucoup choisissent là pour toujours le chemin.
Nos conversations tiennent l’Ange en haleine ;
souvent il s’est voilé de son manteau de laine.
la pureté paraît inutile et trop chère,
beaucoup devançant là les appels de la chair.
la virginité nous devenant détestable
nous gravons des dessins obscènes sur les tables ;
dans nos communions, combien Jésus frémit
des mots infâmes que nos lèvres ont commis.
et à quinze ans lorsque le corps devient nubile
l’esprit fornique quand la chair piaffe, inutile ;
en classe, et en famille, et aux pieds des autels
on s’embourbe dans des images de bordels.
Mieux vaudrait de l’urine aux lèvres et aux joues
que charrier dans son esprit toutes ses boues,
et un jour au hasard qu’agença le Malin
la rencontre d’un ami et de sa putain.
Bien que je sois resté vierge de corps, sans doute,
que de faux pas et que de chutes sur la route
Et maintenant voici la lisière du temps
où apparaît la vie vraie, à dix-sept ans.
L’expérience journalière nous renseigne.
La première morsure est cruelle et on saigne.
On gagne un peu d’argent pour soi, et on est fier
d’être son chef, où tout au moins d’en avoir l’air.
C’est à ce moment-là que vint la grande guerre
et que tant d’hommes sont partis pour la frontière
Il n’y aura pas eu chez moi d’écho guerrier ;
il y avait alors grand’tristesse au foyer.
Il y avait alors ennuis de toutes sortes.
La mort et l’inconnu ricanaient par la porte,
et j’avais encor la peau blanche d’une fille
que déjà j’étais le seul homme en la famille.
J’ai travaillé sur des textes et des dessins.
à coups de hache, j’ai entrouvert le chemin.
A peine la moustache opombre-elle ma bouche
que j’encasque ma tête et que la mort me touche.
Ange, ange familier qui surveillez ma vie
où est l’heure meilleure en ses jours poursuivie ?
“L’heure meilleure elle est dans ta tristesse même
où il te fut prouvé que le Crucifié t’aime.
L’heure meilleure elle est dans les larmes, au creux
de ces sanglots bessons et lourds comme des bœufs.
quand semblable au galet qui sous le talon roule,
la nef mal étayée, où nos vouloirs sont, croule
on se raccroche à toute chose, mais en vain.
Jusqu’à la lie il nous faudra boire ce vin.
il y a des douleurs qu’on ne peut pas redire,
où le mot qui console, hélas, serait le pire,
Toutes choses nous sont comme un sol étranger
où l’homme ne saurait ni boire, ni manger ;
tous nos amis d’hier, et même les plus proches
n’ont pas même un fétu de paille où l’on s’accroche,
dans l’âme où il n’y a nulle acceptation
le démon fait une grande agitation
on attend nu, béant et saignant fibre à fibre,
la Croix est sèche. Au cœur aucun Amour ne vibre. ”
C’est alors ô mon Dieu, que Vous êtes présent,
m’ayant fait, pour l’heure éternelle, ce présent.
Avant de partir au service
Et puisque vous l’avez voulu, Maître, puisqu’il
Faut obéir sans rechigner, depuis mes paumes
jusqu’aux plantes, j’oignis mon corps[56] d’huile et de baume
Et brisais l’aryballe à toujours inutile.
Le fard aux lèvres, le kohl aux yeux et aux cils,
Le biceps jeune dur et rond telle une pomme,
Prête au sacrifice, Vois ma chair d’hippodrome
Telle que Tu la désirais. Ainsi soit-il.
[Vers avril 1917]
Après le long chemin voici la courte halte,
voici la route longue et puis le court repos.
ô que j’ai traversé ces vaux et ces coupeaux
Devant que m’établir au creux de ces basaltes.
Devant que de porter, nue, la Croix de Malte,
j’ai vêtu bien des ors et bien des oripeaux.
Devant que de chanter le Maître et ses troupeaux
j’ai vomi le refrain sur quoi Satan s’exalte.
Vous m’avez donné le repos dessous les nids
Au moment que vous égorgiez mes amis,
ne m’ayant pas jugé mûri pour l’holocauste.
Cependant j’ai mâché ton aloès amer. . .
et dedans mon esquif, tous vents baissés, j’accoste
au port obombrant de ses palmes d’or, la mer.
11–4–18.
Seigneur voici longtemps que je vous ai cherché
Seigneur, voici longtemps que vos mains familières
ne s’étaient reposées au bord de mes paupières,
que vos dents, sur mes lèvres, n’avaient mâché.
Seigneur, voici longtemps que vous m’étiez caché,
et mon cerveau grouillait comme des fourmilières,
et mon espoir butait, dans sa montée, aux pierres,
et le rire, sur ma terreur, venait cracher.
Les ailes du Rapace ombraient ma celle étroite. .
or maintenant vos mains maternelles, adroites
ont recousu ma plaie et bercé ma terreur.
ô nourrice ô nourrice aux dents de cinnamone
voilée et feinte, accessible à mes sens d’erreur,
plus blanche, humble et furtive que l’anémone.
cinnamone pour cinnamome
cf dans Rabelais
Madame, voici ma chair et voici mes os
et puis voici mon âme où coulèrent les eaux.
Ma chair est peu soignée et ma face peu belle ;
mon âme est peu soignée : il lui manque des ailes.
J’ai de très grands lorgnons sur de très petits yeux
et mon âme n’est pas très agréable à Dieu.
(Les anges, approchant de mon cadavre anthume
…de plumes)
Ma peau n’a pas le grain du marbre de Paros
Elle renferme peu de chair et beaucoup d’os.
Je suis mal mis et ma cravate est une corde
et mes lacets, pareils à des lombrics, se tordent
Or, n’ayant pas mes bachots j’ai peu de science.
Etant mauvais chrétien, j’ai peu de patience.
Je rêve d’une qui fasse bien la cuisine
et ne bavarde pas trop avec les voisines.
Qu’elle ne soit pas confite et bigote, mais
croit au Christ et dise bien son chapelet.
Ôh ! je ne demande pas qu’elle soit splendide,
mais seulement faite de bonne chair candide ;
et qu’elle enfante sans grimace, sachant bien
que c’est pour cela qu’elle et l’homme ont ce lien.
et nous demanderions à Dieu qu’il nous bénisse
lui donnant de chacun des labeurs les prémices.
et nos enfants diraient le Pater et l’Ave,
et les filles sauraient cuisiner et laver.
les garçons étudieraient comme il est plausible,
se destinant à des professions accessibles.
et moi, je pense que mon labeur suffirait
à nourrir le foyer que ma femme tiendrait
et que Dieu bénirait sans doute la famille
où tous sauraient prier, parents, et fils, et filles
Et c’est pourquoi, te sachant dans le bon chemin
je demande demain, à ta mère, ta main
11–4–18.
inachevé
Bon petit Jésus veillez sur la T. S. F.
voici le récepteur, les antennes, l’écoute
les radios et la cagna, que nul méchef
ne les atteigne, que nul obus ne s’y boute.
leur vie est pauvre. ils n’ont que ce caveau pour fief.
ils inscrivent la nuit la tour et les sondages
à l’heure où les frocs blancs vocalisent aux nefs.
pareil au monial que le copiste engage
attentif, l’écouteur à l’oreille, il transcrit
et sa cagna, comme une cellule, l’encage.
son langage est plus dur et clos que le sanscrit.
passif il se soumet à l’officier d’antenne
tel le moine, lorsque L’Abbé parle, souscrit.
la chèvre au pieu ne peut courre la prétentaine.
semblablement il s’est lié aux écouteurs
humble, ignorant qu’on peut s’accroître en lisant Taine.
il obéit, n’étant ni craintif, ni douteur,
le masque au groin lorsque les gaz gris le bombardent
et dans la grand’mêlée il est sage jouteur.
attentifà l’essor
du geste que le fer et le caoutchouc bardent.
Ajouté dans un autre manuscrit.
Il traduit la chanson rythmique, tel un barde
Attentif à la voix des arbres, et l’essor
du geste que le fer et le caoutchouc bardent.
Version postériure.
8 Juin (Ressons–s–Matz)
Bon petit Jésus, veillez sur la T. S. F.
Voici le récepteur, les antennes, l’écoute,
les radios et la cagna : que nul méchef
ne les atteigne que nul obus ne s’y boute.
Leur vie est pauvre : Ils n’ont que ce caveau pour fief.
Ils inscrivent la nuit, la Tour et les sondages
A l’heure où les frocs blancs vocalisent aux nefs.
Pareil au monial que le copiste engage
Attentif, l’écouteur à l’oreille, il transcrit
Et sa cagna, comme une cellule, l’encage.
Son langage est plus dur et clos que le sanscrit
Passif il se soumet à l’officier d’antenne
(Tel le moine, lorsque l’Abbé parle, souscrit. )
La chèvre, au pieu, ne peut courre[57] la prétentaine.
Semblablement il s’est lié aux écouteurs
Humble, ignorant qu’on peut s’accroître en lisant Taine.
……[58]
Il obéit, n’étant ni craintif, ni douteur.
Le masque au groin lorsque les gaz gris le bombardent
Et dans la grand’mêlée il est sage jouteur.
Il traduit la chanson rythmique, tel un barde
Attentif à la voix des arbres, et l’essor
du geste que le fer et le caoutchouc bardent.
Voici le corps de celle-ci. Il a crû devant mes yeux—comme le folio s’ouvre.
Le voici mûr. Remettons-le aux mains de celui qui l’engrossera—et que la récolte soit abondante.
Elle a fleuri vierge hautaine—Son cœur s’est déchiré. Elle a saigné de ses blessures jeunes—Mais elle n’a point permis le péché—Elle a gardé l’étonnement de la boue.
Elle était bien jolie quand elle était petite—
Avec cette pétulance inventive—et le rire de ses yeux noirs.
Et dans sa majorité—brune et pleine—et cette peau lisse et gonflée—et ce sein dur comme l’œuf de bois de l’ouvrière. —Elle riait dans sa force—et ses dents petites luisaient dans l’ombre violette
Mais combien plus savoureuse—maintenant que la douleur l’a contrainte—et ses yeux tant de fois cernés d’angoisse. . . Celui qui la presse entre ses bras—qu’il prenne garde—Ce n’est pas un petit animal joli—comme la jument qu’on cravache et qui danse—Il y a là plus que des reins élastiques—et ses côtes broyées—et cette bouche chaude—mais toute la machinerie humaine—et non point seulement l’argile moite—mais l’haleine soufflée aux naseaux !
Aussi n’êtes vous point seuls au jeu—Mais encore ces ailes au dos—Voici de nobles étrangers dans la chambre nuptiale.
Ils savent que l’homme est un petit animal pétulant—et qu’il hennit de joie devant sa femelle et danse—
Mais ils savent aussi qu’il y a là deux âmes jumelles—et conjuguées pour l’éternité.
Ils ont en main de longs papiers—et y inscrivent très en détail tout ce qu’ils voient—car il y a importance pour l’éternité—même à ce que les rideaux de la chambre soient ainsi, et non autre—et que vos doigts se jouent, l’index et l’annulaire—et ce sicillement[59] de vos paupières.
Et maintenant vivez en Dieu—Vous voici parvenus au milieu de la route—et quand le fruit laisse tomber sa graine—il se dessèche et meurt. N’abusez donc point de ce corps qui vous suivra dans l’éternité.
Nous œuvrons ici-bas des œuvres bien petites, mais grandes de ce qu’Il les a désirées ainsi.
18–1–19.
De mon âge voici l’année XXIIème
Je suis pauvre, Seigneur, de gloire et de vertu.
Satan m’a charrié dans ses eaux comme un fétu
Pourrissant. Je n’ai pas été celui qui sème
mais celui qui détruit. Comme l’abeille essaime
J’ai fleuri de péchés. Par les sentiers battus
je marche,[60] dédaignant la Voie, en bouc têtu,
Etant celui qui hait les autres et qui s’aime.
Or voici que l’effroi m’a saisi, ayant lu
la liste de mes jours astorges et pollux
et totalisé les soufflets sur Votre Masque.
ô j’ai déjà perdu de mes décades deux
sous l’irisement vair des squames des tarasques.
A genoux, à genoux, âme au manteau merdeux !
[fevrier 1919]
Maître, maître, voici le pénultième thème :
Quand ta bouche que Dieu même honora, n’aura
Nulles dents, quand l’ouïe mangée au ras, n’orra
nuls sons (déjà Satan lourd d’anathèmes, t’aime ! )
tu connaîtras le timbre Saint “Qui s’aime, sème. ”
Tu fus stérile tel le Sphinx qu’Hora dora.
Ce fut ton corps que ton cœur à tort adora.
Tors ! Tu n’es mais de ceux qu’à mon Chef, gemmes, j’aime
Tu seras rejeté lors, hors du vivant van.
Tu chuteras, sépale, dans le vent levant
singeant, dans un macabre et comique art, Icare.
C’est alors que tes dents, chien, claqueront, qu’erront
tes doigts d’abois. Mais muet, Lui ton corps hagard gare
de s’écraser mort d’hors quelque Achéron Néron.
21–3–19
rimes “couronnées”
Je ne veux pas être le figuier qu’on dessèche,
mais, greffé sur la bonne souche, le sarment.
Mes pieds saignent d’avoir coursé l’amant charmant.
ô cœur blanc troué tel aux cages, l’os de seiche.
Me voici retiré dans ta glèbe, la bêche
au talon, le froc beige aux reins, le Christ armant
le buste, loin de ce flot de Morts, aux tourments
cocasses que Satan de ses flammes or lèche.
Il ne sied plus me rebeller contre ton Poing,
mais pareil au poney que l’éperon dur point
promener le Dresseur où ses aides me poussent ;
Heureux lorsqu’au long des longs battements amblés
tordant leur amour lucide en mes mèches rousses
ses doigts clairs en travers ma crinière ont tremblé
21–3–19
Seigneur, seigneur, voyez ces choses sans vergogne
et celui-ci la nuque lourde et l’œil glauci
et la tristesse de cette âme lourde, aussi
terreuse que les sillons sanguins de la trogne.
Âme non pas même puante, non charogne
mais sac inerte au trot d’un mulet mal assis—
ô la tristesse de gravir muet le lacis
pierreux, avec, aux reins, la marâtre qui rogne
le corps se cabre, serf, au lac de ces Gros-Jeans.
Ils boivent, dorment, baisent, rient. Voilà ces gens
et mon âme est parmi eux, vierge et désirante.
ô reposer au reposoir de votre soir.
Maître oyez la jaculation de l’Orante
aux mains jointes, tant vert et nu.
Daignez surseoir ! [61]
Maître, maître, voyez ce torse
maigre et nu,
Yeux clos, pieds crispés, jambes torses
bras ténus.
Ces choses-là dont vous me fîtes
prêt, et dont
j’ai mésusé, elles invitent
au pardon.
Mon Dieu, mon Dieu, voyez ces membres
écachés,
écartelés aux drus Décembres
des péchés.
palpez ces doigts vannés, ces ongles
de désir,
ce vide au cœur dont Satan jongle
à plaisir.
Ces cuisses calées de béquilles
l’arc odieux
des reins fustigés, et l’esquille
aux chairs. Dieu
considérez l’enfant prodigue
au retour,
échoué pantelant, aux digues
et aux tours
de votre blanche Cité stable,
et qui geint
et s’époumone vers vos tables
corps à jeun.
lorsqu’il quitta vos bras, vos âcres
futur fief,
voici quinze ans son corps alacre
fleurait souef.
Sa marche se rythmait aux voltes
des écus
dont un décade, sa révolte
a vécu.
Son nu s’alanguissait aux linges.
neuf l’iris
s’exaspérait en l’œil des sphinges
et des miss.
Là tout son vouloir, tout son être
s’ont dissous
à compulser de blancs paraîtres,
ces dessous
de satin au fumet d’aisselle
où l’on mord,
ces blancs caveaux qui ne recèlent
qu’un long mort.
or ces parfums perles et huppes
le leurraient,
et laissant retomber la jupe
il pleurait.
Seigneur, seigneur, son âme est nue
et son cœur
désemparé. Voici connues
vos Rigueurs.
Sa bouche mâche l’amertume.
le sang sourd.
il s’encendre des dœuils anthumes
d’anciens jours.
Tel le pollen qu’un doigt dur ride
sur l’aile or,
ôté ne laisse à la piéride,
qu’ombre, alors
sur ce cœur triste vous assîtes
l’Ange gris
dont l’aile telle belle, incite
l’homme aigri
à se remémorer las, l’âge
lilial
de la chair vierge et du visage
filial,
élu franc amour, hors des luxures
(jeux naïfs)
du rire au soleil, des blessures
de canif,
d’une cousine aux paumes moites,
aux yeux daims,
des soupers bleus aux tiédeurs coites
du jardin
Seigneur seigneur sont-ils décombres
Ces ifs fiers,
Seigneur, seigneur, ne sont-ils qu’ombre
ceux vifs hier
Cesse il faut agir, utopiste
harassé,
flaireur des morts aux vaines pistes
du passé.
il repart donc. il ceint la gourde
le bissac.
la fièvre bat sa tempe gourde
d’ords ressacs.
le genou craque, le pied saigne—
sans délai
l’horizon change. nul enseigne
n’est relai.
Sur la grand’route il se démène
point charnel,
hâté, poudreux vers le domaine
paternel.
“or çà ! qu’on soupe. qu’on écorche
trente porcs.
qu’on garnisse de neuves torches
cent supports !
mon fils est là. Voyez je baise
ces cils blonds.
j’étreins ces lèvres. je soupèse
ces bras longs.
Je ris, je pleure, m’extasie
chante et cours,
noyé, saoulé sous l’ambroisie
de l’amour. ”
ils festoient, détendus, aux nappes
riches. chefs
fleurants. les serfs rient. un dogue happe
les reliefs.
le père parle “Fils, ces sommes
et ce toit,
ces glèbes, ces bêtes, ces hommes
sont à toi.
plonge tes poings chers dans mes coffres
tendre ingrat.
c’est ce soir qu’en ton honneur j’offre
le bœuf gras. ”
il dit “que les serviteurs sortent. ”
puis “Toi qui
trouas ton corps en toutes sortes
de maquis,
toi dont les jarrets et les plantes
ont saigné
je te veux pauvre âme dolente
enseigner
l’art qui libère la chair saine
des prisons
et des suggestions d’obscènes
horizons.
Sois simple tel l’oiseau qui niche
dans les bois.
tiens ce hanap. prends cette miche
mange et bois. ”
Rouge, agonise l’escarboucle
des flambeaux.
le fils laisse chuter ces boucles
aux flancs beaux
du Père dont la barbe oscille
et la main
bénit. L’Homme à jamais docile,
l’endemain
Sur des routes, vers des Osties
d’opale, est
parti, le chanvre aux reins, l’Hostie
au palais.
10–5–19
essai de strophes macaroniques, style Ronsard
Je veux chanter ton los
Eglise délectable,
porte d’or, Jardin clos,
conviant à la Table
sainte pour le frugal
repas, d’un cœur égal,
les peuples, cette troupe
pressée en ton giron
comme sont les cirons
au cristal d’une loupe.
Ils prétendaient ton chef
être branlant de neige.
tympanant leurs griefs,
inharmonieux chorèges
ils t’accusaient, savants
indoctes, te trouvant
sans charmes, si vieillie
que tu semblais le cœur
d’une rose, à rigueur
brutalement cueillie.
Comme un blasphème encor
qu’un carreau mortel navre,
ils criaient que ton corps
n’étant plus qu’un cadavre
à tôt ensevelir,
il faudrait bientôt fuir
se bouchant les narines
et laisser de dégoût
ce dépouille à l’égout
sombrer dans la marine.
…
…
…
…
…
…
ils se sont concertés
pour t’ôter cette robe
vierge, qui te dérobe
à leur lubricité.
ils ont saisi ton corps
de tant gente stature
pour le jeter, encor
sanguilant,[63] en pâture
aux écailleux serpents
que l’Ange va serpant,
convulsés, noirs de bave,
hors le tant clair pourpris
blanc d’ailes, où l’Esprit
de Dieu, mussé, s’encave.
Ils ont d’un fouet brutal
ensanglanté ta gorge,
ils ont, hideux chacals
rougi ton corps aux forges
et puis ils l’ont lié
à l’infamant pilier,
s’en approchent, brocardent
fer aux poings, fiel aux yeux.
mais tu pries. . . les cieux
poudroient leur trompe hagarde
Ceux qui riaient de toi
maîtresse sont en poudre.
tu parlas. et leurs doigts
desséchèrent. La foudre
écartelant les cieux,
pétrifia, vicieux
dans leur harangue même,
grinçant encor des dents
et la haine au dedans
ces fauteurs de blasphème !
ô amie, il le faut
dire ta chair est belle.
En vain frappe la faux ;
ta jeunesse rebelle
résiste. Tu vainquis
deux mille ans comme un qui
contemplant dessus l’onde
son visage pareil
où les jeux du soleil
passent[64] quelques secondes.
Je suis ton fiancé
indigne, Eglise gente,
qui t’invite à tancer
ma mollesse indigente,
à laver dans l’Agneau
mes pensers, et comme au
festin, de robes blanches
il sied d’être vêtu
m’orner de fleurs dont tu
sauras cueillir[65] les branches
Je te prie, humble et nu,
Eglise. sœur gentille,
accepte à bienvenue
ma tant pauvre famille
Berce-nous, tant petits
en ton giron blottis ;
pour que de main non lasse
nous soyons tes serveurs,
Supplie le Sauveur
au ciel nous faire place.
[1919]
Je te veux chanter Marie
sainte mère du Sauveur
toi dont la main non flétrie
met en fuite la hideur
des légions de malheurs
qui volent d’une aile torve,
inquiets remâchant la morve
de péchés que nuls remords
ne lavèrent, langues doubles
pour les sages dévoyer
et aux seuils et aux foyers
semer la haine et le trouble,
agaçant de doigts griffus
L’âme où germe leur Refus.
Joachim, ce fut ton père
était un sage pasteur ;
Anne fut, étant ta mère
Plus pure que lys en fleur.
Joachim dut, à malheur,
conduire ses brebiettes
bien loin de sa maisonnette.
Quarante jours il partit.
Mais Anne en Dieu confiante
d’espérance ne pâtit
Et vint troublée un petit
de son mari cher servante,
l’attendre à la Porte d’Or
où s’embrassèrent d’accord.
Ce baiser-là c’est le signe
de ta grande pureté,
de toi, blanche comme cygne,
de toi, miroir d’équité.
Quant Anne t’eut allaitée
elle t’enseigna la science
divine d’obéissance,
Te montrant par ces devis
et ces maternaux exemples
et t’enseignant par avis.
comme d’un gracieux vis
il sied prier dans le temple.
[1919]
Nous allons repartir sur les routes lorraines.
Voici un an déjà que roulent nos Schneiders.
collines et sentes sont de blancheur d’éder. .
trouent les pinèdes noires, telles des carènes.
Les routes filent comme en glace et en moraines. .
la neige glisse, s’égalise, glaucit, mer. .
La Victoire fructifie au goût tendre-amer. .
où est l’âge où les poilus trouvaient des marraines
Nous allons repartir sur les routes lorraines
Voici un an déjà que roulent nos Schneider
Collines et sentes sont de blancheur d’éder
Trouvent les pinèdes noires telles des carènes.
Les routes filent comme en glace et en moraines…
La neige glisse, s’égalise, glaucit, mer…
La Victoire fructifie, au goût tendre-amer
Où est l’âge où les “poilus” trouvaient des marraines
Monsieur Renaudel déclare que Foch est fou.
Les gens intelligents se donnent rendez-vous
Pour confirmer l’horreur de mon militarisme
Savent-ils que c’est de notre sang qu’ils sont gras.
Ô Seigneur Réenseignez-moi. Sans catéchisme
Valait-ce peine de s’offrir pour ces ingrats
Bitche
route Landau
[1919]
Mains aux yeux en brise bises—il y a longtemps que je ne regarde—la ville tordue et retorte. [67]
Quelle surprise—il n’y a dehors que des religieuses et des moines en froc bis—Et derrière chaque nuque ou face, brune ou chauve,—la lumière petite et studieuse—d’une auréole circonscrite—
O joie ! —ils s’agitent et parlent—comme les hommes d’autrefois—mais de leur bouche s’essorent quantités de colombes—et leurs gestes se doublent d’anges qui guettent—En voici deux qui marchandent un poisson—la femme au comptoir, le client gesticule—et leurs anges mirent leurs attitudes—et l’Esprit les surmonte qui bénit.
Il y a un vieux Monsieur qui se promène dans la rue—et on le salue avec respect—Qui est-ce demande l’un—C’est Dieu le Père, dit l’autre—et ils ne s’émeuvent ni se troublent—mais poursuivent leur route et la conversation[68] déprise.
Me voici dans la rue—et je demande aux uns et aux autres—et j’épie et j’admire—Voici Elie et Enoch—qui sont des vieux en jaquettes poudreuses—aux yeux vénérables—et Noé qui a beaucoup d’enfants—et un mendiant qui est Jean-Baptiste—et une femme qui est Marie—
Voici que nous ne voyons plus de ces bouches fiévreuses—de ces regards troubles—Plus de paroles âcres—de gestes durs—De toute chose comme des rouages pleins d’huiles.
Notre-Seigneur est là, et dans l ‘Hostie. Il préside aux noces, aux repas et aux danses. Il y a de vieux messieurs qui sont des savants—et qui travaillent tout le jour. —Ils découvrent quantité de microbes et de sérums—car Dieu les bénit—et quand le jour tombe—parmi les fioles et les plaques—ils s’agenouillent et rendent grâce.
Il y a là—des messieurs décorés et honorés qui font de beaux discours au peuple—et énoncent de belles choses—Quand ils ont fondé une école, ouvert une écluse, ils invitent Dieu pour l’inaugurer—
Il y a là des jeunes gens pas sages du tout—en feutre et pantalon de velours—et des palettes aux mains—il chantent et rient—et de belles jeunes filles nues posent—Ils enfresquent les murs de ces belles formes, et l’œuvre finie, joyeux, rendent grâce.
Il y a aussi de petits commerçants et de petits rentiers. Ils sont équitables, donnent aux pauvres dime-Dieu et avant le repas prient.
Il y a surtout des ouvriers et des pauvres. Ils ne veulent pas manger les plus riches,—mais reçoivent d’abondantes consolations—et la présence de Dieu parmi eux.
Voilà ce que j’ai vu en ce jour (où Dieu était dans ma bouche. )—Mon âme était pareille à cette Cité tranquille—et le baiser de Dieu m’a fermé les paupières.
1–12–19
C’est une station quelque part dans les Vosges.
L’Eglise est agréable et peinte. La cité
vigilante, sachant l’homme et sa cécité
Confie à Nicolas ses trois petits dans l’auge.
J’ai déjeuné au mess américain, de sauge
et de riz…
Joinville 19 . 12. [décembre 1919]
Seigneur voici le temps de m’éjouir en Vous.
il fait soleil ; le ciel est bleu. ma chambre blanche.
vous donnez le ciel à ceux qu’on cloue à trois planches
et la vie et la mort sont également Vous.
il fut un temps où je pleurais de désirs fous.
Maintenant tout me contente. Rires. Dimanches.
cloches au ciel, prière. travail. une hanche
ronde. du pain. Tout est candide. rien n’est fou.
Votre Création est claire comme un geste
d’enfant, des savants vieux et jaunes, d’indigestes
bouquins ne prévaudront pas ce brin de muguet.
J’aime l’enfant qui rit, la joue lisse et gaude
la jeune fille aux seins d’amour, aux dents d’aguet,
Dieu présent et sous ma paume, l’alouette chaude
[Entre le 5 et le 8 décembre 1919]
La France saigne à toute artère, ridicule.
La Victoire a cloué le laurier clair au front
D’un cadavre, le bolchevisme fait des ronds
En crachant sur l’ombre où nos sangs se coagulent.
La guerre close, ils inscrirent[69] : point et virgule.
C’est l’oubli. Qu’importe ce que les rois feront
Ou déferont. Pourquoi se cabrer sous l’affront
Quand l’internationale se congratule.
Cependant muets et clos droits sur nos troussequins
Le poing solide, fermons l’oreille aux faquins
Et chevauchons par la Rhénanie et la Hesse ;
Malgré ceux qui s’endorment sur les sangs caillés
Prostituant leurs chairs aux chairs d’ordes maîtresses,
Vierges, nous t’offrirons, France, nos cœurs raillés
Version postérieure.
A le soldat
B le politique
8–12–19
Or je considérai : ce corps blanc qui me froque
Et du jeu de l’orteil au creux doux du gaster
Mes doigts joyeux comme l’abeille au creux d’asters
rirent dans la chair chaude aux révulsions baroques.
J’ai dit—ce corps joyeux la mort proche s’y choque
ce cahuteau charnel, la mort“
L’escarbot qu’un pied tue saura les vols d’éder/éther
Et j’aurais la sandale ailée au lieu de socques.
Version probablement postérieure.
or je considérai ce corps blanc qui me froque
et du jeu de l’orteil au creux doux du gaster
mes doigts joyeux comme l’abeille au creux d’asters
rirent dans la chair chaude aux révulsions baroques.
J’ai dit : “Ce cahuteau charnel, la mort s’y choque
l’escarbot qu’un pied tue saura les vols d’éder[70]
et j’aurai la sandale ailée au lieu de socques.
ô que ma parole ne soit pas inutile
Maître, non point le moulin à vent dans le vent
mais semblable à l’homme jeune qui va levant
la tâche en l’ahan dur où le sang clair rutile.
Que ma parole soit un corps d’homme nubile
et le grain gros et blond resté au divin van,
et non le Christ toc que le Juif d’astuce vend
bon juste à épucer quelque piété débile.
Pour ça, rejeter la littérature et l’art,
L’art de peindre et le militaire. Des potards
fraudeurs d’orviétans en oignirent mes stigmates
sans résultat. Ils suppurent les Vendredis
Et les plaies d’épines s’obstinent écarlates,
A censurer d’époints ce que je lis et dis.
inachevé
Seigneur, tyran jaloux
Je crie et souffre
brebis emmi ces loups
puant le soufre.
Leurs yeux phosphorescents
scrutent ma laine
je respire le sang
de leur haleine.
ils frappent ma douleur
de ridicule
leur bave dans mes pleurs
se coagule
ils m’ont lié les doigts
poignets et coudes.
mes membres aux abois
le sang les soude.
leurs griffes m’ont pétri
telles des gouges,
ils s’égayent au tri
de ma chair rouge.
Vous qui prîtes pitié
d’une détresse
autre, où furent vos pieds
séchés de tresses,
Vous qui avez remis
à l’adultère
sa faute, et votre Ami
surgi de terre
j’ai confiance mais
sans Vous j’expire.
mieux vaut, pieux, être Homais
qu’athée Shakspeere.
dénouez les lacs saignants
contre mes membres
portez mon corps geignant
dans votre chambre.
versez l’huile et le vin
l’âme et le baume.
mon cœur comme un levain
gonfle à vos paumes
maître, l’herbe en émoi
gonfle les sentes.
j’ai l’âme en ce doux moi
convalescente
soutenez mon corps blanc
et ma faiblesse.
mes pieds sont si tremblants
qu’un rien les blesse.
laissez peser mon front
à votre épaule.
bientôt les nids feront
chanter les saules.
alors nous irons voir
les rives fraîches,
les filles au lavoir,
les cris aux crèches,
les fleurs lourdes, les seins
gonflés des mères,
l’eau où crisse l’essaim
des éphémères.
et voici la maison
(comme un haut cierge
rose) sous la toison
des vignes vierges.
Je m’assieds en tremblant
à votre table,
maître, qui de mes plans
êtes comptable
Vous qui savez l’horreur
de l’homme interne
…
…
ne me laissez au plat
mettre ma paume. . .
mon cœur féroce est las
même du baume.
Amour. pardon. des mots !
J’ai la Salive.
rappelez-vous l’homme au
bois des Olives,
les valets les soldarts
puant le bouge,
les lanières, les dards,
la robe rouge.
[Probablement 1920]
Autre version.
Seigneur, tyran jaloux
Je crie et souffre
Brebis emmi ces loups
Puant le soufre
Leurs yeux phosphorescents
Scrute ma laine
Je respire le sang
De leur haleine
[Vous qui m’avez couvert
de leur discorde
Comme on appâte au vers
L’ham et la corde]
Leurs griffes[71] m’ont pétri
Telles des gouges
Ils s’égayent au tri
De ma chair rouge.
Ils frappent ma douleur
de ridicule
Leur bave dans mes pleurs
Se coagule
Ils m’ont lié les doigts
Poignets et coudes
Mes membres aux abois
Le sang les soude
Vous qui prîtes[72] pitié
D’une détresse
Autre, où furent vos pieds
Séchés de tresses—
Vous qui avez remis
A l’adultère
Sa faute, et votre Ami
Surgi de terre
J’ai confiance mais
Sans vous j’expire
Mieux vaut pieux être Homais
Qu’athée Shakespeare
Dénouez l’or saignant
Contre mes membres
Portez mon corps geignant
Dans votre chambre
Versez l’huile et le vin
L’âme et le baume
Mon cœur comme un levain
Gonfle à vos paumes
Maître, l’herbe en émoi
Courbe les sentes
J’ai l’âme en ce beau mois
Convalescente
Soutenez mon corps blanc
Et ma faiblesse
Mes pieds sont si tremblants
Qu’un rien les blesse.
Laisse peser mon front
A votre épaule
Bientôt les nids feront
Chanter les saules
Alors nous irons voir
Les rives fraîches
Les filles au lavoir
Les cris aux crèches
Les fleurs lourdes, les seins
Gonflés des mères.
L’eau où crisse l’essaim
des éphémères…
Et voici la maison
[La bonne auberge]
Comme un haut cierge
rose) sous la toison
Des vignes vierges
Je m’assieds en tremblant
A votre table
Maître, qui de mes plans
Êtes comptable
Vous qui savez l’horreur
De l’homme interne
Et soupesez l’erreur
De mon cœur terne
Ne me laissez au plat
Mettre ma paume…
Mon cœur féroce est las
Même du baume
Amour—pardon. Des mots !
J’ai la salive
Rappelez-vous l’homme au
Bois des Olives
Les valets, les soldarts
Puant le bouge
Les lanières, les dards,
La robe rouge…
Pour cette âme discrète et ce corps rose et plein,
pour cette-ci dont le fiancé se meurt au large
dont l’âme est balancée ainsi qu’au flot les barges
et qui m’envoie, en sa sérénité, ce plaint
Seigneur je prie.
il faut voiler du simple lin
de vos renoncements ces yeux noirs sans litharge ;
celui qui maniait la francisque et la targe
Apaisez-l’en sa gorge et ses ris opalins.
et puis entourez ses reins chastes du cilice
du Dogme—il sied goûter au tréfonds le calice
devant que découvrir l’Amour essentiel.
et comme Vous fûtes creusé par la souffrance
abreuvez-la du miel de Vos fiels, que le ciel
s’ouvre pour celle-ci qui hait, blonde, la France
7–8. 1–20.
Nous pratiquâmes les stupres les plus subtils
inachevé
Seigneur le temps est-il venu. Le docteur Faust
debout parmi l’argent maculé des vaisselles
porte à Satan, grand rénumérateur, ce toast :
“Maître, dans le travail vertueux nos aisselles
fumèrent. nos pieds nus bleuirent. Aujourd’hui
nous saoulons notre chair au chant doux des crécelles.
L’Autre dit ‘l’âme au corps, c’est la perle en l’étui
qu’il sied briser afin que sa splendeur s’exhale. ’
Vous avez pollué, Seigneur, ce vieux déduit
D’autres ont su pourrir sur la Croix, dans les râles.
il est meilleur[74] de mordre au fruit des seins marbrés.
La poix bouillante vaut-elle le doux des châles !
Laissons courre nos désirs débridés par prés
et vaux, puis s’assouvir aux moiteurs de l’alcôve
des chairs aux dents et dans les doigts des reins cambrés.
Ainsi nous serons honorés, riches et chauves.
des valets veilleront sur nos digestions.
les guerres laisseront nos précieuses peaux sauves.
Les magazines nous poseront des questions ;
Vieux nous couronnerons sans remords des rosières,
centuplant notre or en vertueuses gestions.
nous serons beaux comme des poupards en lisière
avec des nuques violaces et des fanons
lourds, engloutisseurs de cheptels et de rizières.
le monde est un champ[75] docile que nous fanons.
Ayant l’or, nous avons les femmes et la science,
des louanges sonores à tous tympanons.
nous croyons en un Dieu rempli de patience
tant qu’heureux de nous voir si gros et si nourris
à l’Heure, il nous fera crédit de nos créances.
paternel, il omettra stupres et houris
tressant nos phalanges de chapelets de roses,
Oignant nos gencives de bienheureux souris—
des séraphins nous joueront séquences et proses.
nous fleurirons nos jours de passe-temps divers
impassibles, tel le Paros que nul n’érose—
Ainsi nous aurons eu la part meilleure, vers
quoi
Sans contrainte, buvant frais d’été, chaud d’hiver
Il nous offre déjà ses paumes ‘Fils, Vide. ’
Rions parmi les cris des pauvres qu’on égorge,
nos ventres pleins pissant sur leurs ventres vidés.
Justice. nous fûmes cauteleux et astorges.
nos pieds fouaillèrent des peaux pourpres pour tapis
dont les crânes giclaient comme au van l’épi d’orge.
nos rubis eurent couleur de sang. nos lapis
furent bleus comme les mains gourdes des pauvresses
comme leurs lèvres mortes et ces yeux flapis.
nos jouissances s’accouplèrent aux détresses—
nous butinâmes des fleurs louches, des pistils
étranges et nos dents crissèrent sur des tresses. ”
[Probablement 1920]
Autre version.
Seigneur le temps est-il venu : Le docteur Faust
Se lève, et parmi l’or maculé des vaisselles
Porte à Satan, grand rénumérateur, ce toast :
“Maître, dans le travail vertueux, nos aisselles
Fumèrent. Nos pieds nus bleuirent. Aujourd’hui
Nous saoulons notre chair au chant doux des crécelles.
Dieu dit ‘L’âme au corps c’est la perle dans l’étui
Qu’il sied briser afin que sa splendeur s’exhale. ’
Vous avez pollué, Seigneur, ce vieux déduit.
D’autres ont su pourrir sur la Croix, dans les râles.
Il est meilleur de mordre au fruit des seins marbrés.
La poix bouillante vaut-elle le doux des châles !
Laissons courre nos désirs débridés par prés
et vaux, puis s’assouvir aux moiteurs de l’alcôve
Des chairs aux dents et dans les doigts des reins cambrés.
Ainsi, nous serons honorés, riches et chauves
Des valets veilleront sur nos digestions.
Les guerres laisseront nos précieuses peaux sauves.
Les magazines nous poseront des questions
Vieux nous couronnerons, sans remords, des rosières,
Centuplant notre or en vertueuses gestions.
Nous serons beaux comme des poupons en lisière
Avec des nuques violaces et des fanons
gras, engloutisseurs de cheptels et de rizières.
Le monde est un pré docile que nous fanons.
Ayant l’or nous avons les femmes et la science,
des louanges sonores à tous tympanons.
Nous croyons en un Dieu rempli de patience
Qui heureux de nous voir si gros et si nourris.
A L’Heure, nous fera crédit de nos créances
Paternel il omettra stupres et houris
Tressant nos phalanges de chapelets de roses,
Oignant nos gencives en bienheureux souris
Des séraphins nous loueront séquences et proses.
Nous fleurirons nos jours de passe-temps divers
Impassibles, tel le Paros que nul n’érose
Ainsi nous aurons eu la part meilleure, vers
laquelle tendent tous ceux qu’un tel désir affame
Sans contrainte, buvant frais d’été, chaud d’hiver.
Nous vous rendons grâce pour ces choses, or, femmes
respect.
Au ciel, nous donnera Los et pérenne fame.
Il nous offre déjà ses paumes ‘Fils, vide. ’
Rions parmi les cris des pauvres qu’on égorge,
nos ventres pleins pissant sur leurs ventres vidés.
C’est bien car nous fûmes cauteleux et astorges.
Nos pieds foulèrent des peaux pourpres pour tapis
Et les crânes giclaient comme aux vans l’épi d’orge.
Nos rubis eurent couleur de sang. nos lapis
Furent bleus comme les mains gourdes des pauvresses
Comme les lèvres mortes et les yeux flapis.
‘Qu’importe la coupe pourvu qu’on ait l’ivresse’ [76]
Nous butinâmes des fleurs louches des pistils
Etranges et nos dents crissèrent sur des tresses. ”
“il en est qui se font eunuques pour l’amour
de moi. que celui qui veut comprendre comprenne. ”
et ce n’est pas, Seigneur, cette lubrique étrenne
qui me fit perdre le fil de votre discours.
j’eus plaisir à savoir ce corps ferme aux seins courts.
j’eus tristesse de cette âme. il faut qu’elle apprenne
l’unique Maître, comme fit la Madeleine
après qu’elle eut souillé les ruelles et les cours.
quoi te vaut telle, et pourquoi ta chair à tous havres
nous nous ressemblions au sœuil de l’utérus
semblables seront les parfums de nos cadavres.
Crois-moi ;délaisse prince, cocktail, thé russe ;
Achète le parfum, brise le vase et verse
car j’ai prié Jésus pour toi, ma sœur perverse.
Montmartre.
retrouvé. 21.
Sténographie :
Pour Lili
Café Place Clichy avec Legendre
et dans l’audiphone inversé du songe
se perdent des paroles
oubliées, T. S. F.
de pas plongés
dans l’ombre
vide des jardins.
Le cadran
d’une lime mercurielle
à battre l’heure aux quatre horizons.
La solitude est un balcon
béant sur la nuit.
Où sera-ce le nid
de cette chanson mécanique.
Les antennes à l’éveil du souvenir
reçoivent les messages
sans fil
dans quelque adieu effiloché.
Femmes naufragées
que leurrèrent des directions
transatlantiques et les voix
de secours
fleurs
éclatés aux fils
des pentacles
internationaux.
Le cœur plonge aux distances
Où ce “Jazz Band”
NewYorkais, puis les ports synchroniques
fleurir de vices
et la motrice des moteurs.
Aliénés ! Hertz, Marconi, Edison !
Le cerveau phonétique baratte
l’accidentelle perspective
Les idiomes.
Allo !
Une étoile en or
chut en mer.
[Probablement octobre–novembre 1922]
[ 1 ] Tous les poèmes réunis ici sont ceux que Jean Charlot lui-même n’a pas choisis. Certains ont été regroupés de telle manière qu’on a l’impression qu’il avait l’intention de les rassembler comme ses autres œuvres poétiques. En effet, il y en a qui égalent ses meilleurs poèmes. Les poèmes sont arrangés chronologiquement autant que possible, étant donné que beaucoup ne sont pas datés.
[ 2 ] Remplace : s’en va.
A dater fin 1911, début 1912, probablement un poème pour la nouvelle année. Avec deux dessins.
[ 3 ] Remplace : D’un.
[ 4 ] Remplace : s’en va.
[ 5 ] Sic : recroqueville.
[ 6 ] Remplace : De la.
[ 7 ] Rayé :
[ 8 ] Original : jaunie.
[ 9 ] Rayé : Son/Il ne lui restait que Pierrot.
Sténographie
[10] Remplace : Qui du.
[11] Remplace : Car il n’avait.
[12] Remplace : gratter.
[13] Remplace : éteints.
[14] Autre manuscrit : rimes plates.
[15] Remplace : Du.
[16] Illisible.
[17] Remplace : Impuissants.
[18] Remplace : Oct.
[19] Remplace : ma.
[20] Variante : J’ai senti le feu des morsures rouges.
[21] Remplace : dort ; …ameine.
[22] Variante : Où dort, ou se rameine son plumage.
[23] Remplace :
La sève et je voudrais, sous le pommier qui ploie
Fermant les yeux, laisser mon cœur sauter de joie
[24] Original : Battais.
[25] Remplace : battit d’angoisse et de doute.
[26] Remplace : corps.
[27] Remplace : sombres.
[28] Remplace : lutte pas.
[29] Remplace : fin.
[30] Remplace : odeur ac.
[31] Remplace : ombres.
[32] Remplace : semblaient.
[33] Remplace : idée.
[34] Variante : Qui plus.
[35] Remplace : 1914.
[36] Le poème entier est barré.
[37] Remplace : était.
[38] Le poème entier est barré.
[39] Original : bontée.
[40] Original : monté.
[41] Remplace : ses.
[42] Original : Gémis.
[43] Remplace : Astre.
[44] Remplace : Dans.
[45] Original : trances.
[46] Remplace : il a.
[47] Remplace : ses.
[48] Original : élie.
[49] Original : savant.
[50] Rayé : Je vo.
[51] Original : cet.
[52] Original : pêcheurs.
[53] Original : cet.
[54] Original : j’aurais.
[55] Remplace : Mes doigts s’ingéniaient à fixer l’air qui vibre.
[56] Remplace : ma chair
[57] Original : coure.
[58] Les points de suspension pourraient indiquer que l’auteur avait l’intention d’ajouter d’autres strophes.
[59] Sic : cillement?
[60] Mss. : J’ai marché/Je marchait [sic].
[61] Ajouté au manuscrit de ce poème :
Seigneur, Seigneur ces gros qui pètent dans le soir
Vous les mîtes sur ma route. Hier d’autres bornes
la jalonnaient.
[62] Version antérieure à celle publiée dans le Manuscrit Brun 1919.
[63] Original : sanguilent.
[64] Original : passe.
[65] Remplace : choisir.
[66] Version antérieure à celle publiée dans le Manuscrit Brun 1919.
[67] Remplace : tortueuse.
[68] Mss. : conservation
[69] Remplace : ont inscrit.
[70] Alternative : éther.
[71] Remplace : ongles.
[72] Original : prites.
[73] Original : Epstein.
[74] Alternative : plus sain.
[75] Remplace : grain.
[76] Alternative : Nos jouissances s’accouplèrent aux détresses—