Lettres de Jean Charlot à Walter Pach—Jean Charlot

Lettres de Jean Charlot à Walter Pach


"Lettres de Jean Charlot à Walter Pach". Jean Charlot. Date: ca. 1922–1925. Archives of American Art, Smithsonian Institution.

Cette correspondance se trouve dans les papiers Walter Pach, 1880–1980, Archives of American Art, Smithsonian Institution. Je tiens à remercier le personnel des Archives pour leur aide.

Editées par John Charlot et Marie-José Fassiotto avec l’aide de Janine Richardson.

# Lettre 1

5 novembre 1922

Cher Monsieur et ami[1]

Excusez mon long silence qui n’est pas un oubli. Je voulais avoir quelques choses neuves à vous raconter et vous envoyer en même temps la photo demandée par vous si obligeamment, mais à Mexico…… !

Or donc, dès que votre train fut parti, Diego[2] et moi nous revînmes côte à côte. J’alimentais la conversation en lui parlant fresque et au moment de nous séparer il me tourna un petit compliment ("j’ai été très heureux de vous revoir") qui, s’il n’était pas dicté par vous était par vous certainement inspiré.

Telle est l’histoire de notre raccommodement, fort simple comme vous voyez, ça été un grand plaisir que vous m’avez fait et un grand service que vous m’avez rendu.

Votre article a paru dans Mexico moderno.[3] J’espère qu’on vous en a envoyé un exemplaire. J’ai été heureux d’y retrouver un écho de vos cours dont je garde un si bon souvenir. Orozco[4] va exposer ses aquarelles. Espérons que l’article attirera l’attention sur lui.

L’exposition ouvre aujourd’hui. On n’a refusé personne, ce qui pourrait constituer un salon des Indépendants, malheureusement la publicité a été peu faite, et parmi les gens du courant aucune révélation n’était à attendre.

Atl[5] a fondé un journal « Acción de Arte », où il y a une parfaite présentation et de bonnes intentions, malheureusement gâtées par un futurisme assez 1914.

J’ai reçu un numéro du Crapouillot sur la peinture mexicaine.[6] C’est fait par moi mais l’article a été tronqué. On me demande là-bas les frais de reproductions et les petits camarades ne veulent rien donner. Il me faut donc faire ce sacrifice en l’honneur du curé Hidalgo. (L’article a été écrit au commencement de mon séjour…L’altitude vous savez.)

Ma fresque est presque terminée. Après on lavera avec un jet d’incendie et retouches à la cire. C’est un mortier très chargé de ciment ; les élèves de la Préparatoire pourront s’y écorcher les ongles. Il y a des parties dont je suis content. En tous cas cela m’a beaucoup appris.

Leal[7] s’est coupé la barbe et Revueltas[8] a commencé à peindre !

Mon séjour à New York. J’y pense très sérieusement puisque vous avez eu l’obligeance de m’en parler. Je me sens porté vers la peinture religieuse et l’art Saint-Sulpice avec une grande force. Nous reparlerons de cela en temps utile, si vous le permettez ; car je compte rester ici jusqu’à suppression de mon emploi. Ce ne sera peut-être pas très long.

Maman se joint à moi pour vous envoyer ainsi qu’à Madame Pach notre fidèle souvenir et meilleures amitiés. Elle se propose d’écrire d’ici peu à Madame Pach.

Sincèrement vôtre

Jean Charlot

129 Nuevo Mexico

# Notes de "Letter 1"

  1. Walter Pach, 1883–1958.

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  2. Diego Rivera, 1886–1957, un des plus grands peintres muralistes du vingtième siècle.

    ^reference
  3. Pach, Walter, 1922. "Impresiones sobre el arte actual de Mexico." México Moderno, Volume 2, Numéro 3, octobre, pages 131–138.

    ^reference
  4. José Clemente Orozco, 1883–1949, un des plus grands peintres muralistes du vingtième siècle.

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  5. Gerardo Murillo, 1875–1964, artiste, intellectuel et figure littéraire plus connu sous le pseudonyme de Dr. Atl (eau en Náhuatl).

    ^reference
  6. [Charlot, Jean] Blanchard, Claude. "La Jeune Peinture Mexicaine." Le Crapouillot, septembre 16, 1922, pages 12–13, 16–18.

    ^reference
  7. Fernando Leal, 1896–1964, peintre, graveur, et critique d’art. Sa première fresque, Pèlerinage de Chalma, se trouve en face de celle de Charlot, Massacre dans le Temple Majeur, à l’Ecole Préparatoire Nationale.

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  8. Fermín Revueltas, 1902–1935, peintre et artiste, engagé dans les cercles d’art mexicain de son temps, y compris les Estridentistas.

    ^reference

# Lettre 2

Sans date. janvier 1923

Cher Monsieur

Voici bien longtemps que vous m’avez demandé les photos de ma fresque. Mais le photographe dit ne pouvoir rien faire tant que les échafaudages seront posés ce qui retarde j. 1er Février environ. A tout hasard, et sans savoir si vous pourrez rien en faire, je vous envoie la photo du projet.

Diego va vous envoyer les Tableaux pour l’exposition à laquelle vous avez eu la gentillesse de nous inviter.[1] Vous n’y aurez pas de grande surprise car occupés que nous sommes tous à des murs, nous travaillons peu au chevalet. Il y a d’ailleurs eu des frottements à ce sujet avec le groupe Beaux-Arts : Cahero[2], Leal, etc… Ils ont décidé que Diego voulait exercer une « dictature » ! que cela était intolérable car après tout chacun d’eux avait sa valeur propre et qu’on ne peut pas faire de hiérarchie dans le talent, etc… Vous voyez où peut mener un orgueil imbécile et un hidalguisme mal compris. Cela vient surtout de ce qu’ils ne travaillent pas et leurs plans de tranquillité sont dérangés par le travail des autres. Résultat : Ils ne profiteront pas de l’exemple de Diego, pas plus qu’ils n’ont profité de votre enseignement. Ils sont d’un tropical vraiment incorrigible.

Diego va finir et c’est très beau : La pluspart [sic] des têtes reprises ramènent l’unité d’ensemble. Il doit vous envoyer les photos mais…mañana quant au photographe.

Ma fresque est finie et me satisfait. Je serais très heureux d’avoir votre avis critique et c’est pourquoi j’ai grand désir de vous envoyer les photos.

Alfaro Siqueiros[3] (était-il là quand vous êtes parti) commence la décoration de l’escalier dans la même école (3 étages : 250m2) il a des projets très intéressants. Quel malheur de penser que tout cela sera détruit par les élèves.

Leal n’a pas commencé ( ! ) il se promène de groupe en groupe en parlant d’art et répète sans cesse « En peinture, le travail seul compte. Il faut travailler. » Alba n’a pas commencé, tan bien [sic]. Revueltas seul plaque des couleurs, avec assez de force, ma foi. C’est de beaucoup, le meilleur des Beaux-Arts et surtout le plus sympathique. Cano vient d’achever un grand tableau (indien couché) qui accuse un vrai progrès.

Diego a dû vous parler de la fondation d’un syndicat. Grand enthousiasme au début, mais quant [sic : quand] il s’agit de travail tous f… le camp. On peut changer l’étiquette, la marchandise reste la même.

Ci-joint quelques petites rognures miennes, en souvenir d’amitié.

Mon respectueux souvenir à Madame Pach

Votre ami (qui désirerait quelques nouvelles de vous aussi)

Jean Charlot

129 Nuevo Mexico

P. S. : Je vous ai mis un mot avant le 1er Janvier. L’avez-vous reçu ?

P. S. 2 : Le travail au ministère est commencé. Diego va travailler à fresque et je l’aide.

900m2 Ça promet d’être intéressant. Je vous tiendrai au courant.

Au verso de la dernière page :

Les reproductions que je pensais joindre à cette lettre, je les ai données à Diego pour l’exposition. Il doit vous les envoyer. Le prix qu’il a mis pour mes tableaux (300) me semble ridicule. Si vous avez l’occasion de vendre, fixez le prix vous-même en toute liberté. Nous avons eu bien du mal, même pour réunir le peu que nous vous envoyons.

Vous aviez dit à Diego pas de cadre. Aussi, de peur que vous ne payiez des droits nous envoyons les toiles sans rien du tout. Faites au mieux et s’il y a lieu, on pourrait rembourser les dépenses (idée toute personnelle et qui n’engage que moi.)

# Notes de "Lettre 2"

  1. L’exposition annuelle de la Société des Artistes Indépendants, N. Y., 24 février–18 mars 1923 (the annual exhibition of the Society of Independent Artists, New York City, February 24 to March 18, 1923).

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  2. Emilio García Cahero, (1897–?), artiste mexicain et peintre muraliste, s’établit plus tard à El Paso, Texas, où il continua à peindre.

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  3. David Alfaro Siqueiros, 1896–1974, un des plus grands peintres muralistes du vingtième siècle.

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# Lettre 3

31 mars 1923

Cher monsieur Pach

Bonne surprise pour moi que de recevoir votre article sur Seurat[1]. C’est plus qu’un article, presque un petit livre, mémento résumant les dates et faits en toute clarté. Ce texte et le choix des reproductions fera désormais partie de ma « bibliothèque » car je ne possédais rien encore sur Seurat.

Je viens de lire le Pigmal[2]. C’est bien médiocre et rappelle certains livres allemands où il faut courir cinquante pages avant de découvrir une idée.

A propos de l’exposition, vous ai-je écrit que l’Universal avait inséré un nouvel article calomnieux avec reproductions (les deux reproductions du catalogue, jugées sans doute œuvres ridicules) auquel nous avons répondu par une feuille volante que je joins à la lettre.

Dans ce catalogue, si bellement imprimé, nous avons tous reconnu avec plaisir le tableau que vous aviez commencé ici. Diego même a dit, « C’est plus mexicain que notre envoi », et véritablement tous ces petits personnages ont la saveur des ex-votos d’ici.

Je n’ai reçu que la moitié des catalogues annoncés.

Nous venons, au Syndicat, de faire une fête pour l’achèvement de l’amphithéâtre. Vasconcelos était présent. En même temps la décoration du ministère à fresque continue. Diego a terminé son premier panneau. La seconde cour sera peinte par de la Cueva, Guerrero et moi. Le tout doit être terminé dans l’année, pour votre retour, espérons-le.

A Guadalajara, le beau-frère de Diego a fait une « encaustique » murale qui est très bien. J’essaierai de vous en procurer une photo.

Voilà les nouvelles au jour le jour.

Diego vous remercie beaucoup pour tout ce que vous avez fait pour nous. Je ne sais quant [sic : quand] il vous écrira personnellement car il travaille de 8 h. du matin à 10h du soir sans manger, ce qui n’est pas drôle pour ses aides (dont moi) qui sont obligés d’en faire autant !

Mon respectueux souvenir à Madame Pach et pour vous l’assurance de ma sincère affection.

Jean Charlot

# Notes de "Lettre 3"

  1. Pach, Walter, 1923. Georges Seurat. New York: Duffield and Company.

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  2. Non identifié.

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# Lettre 4

27 octobre 1925

Cher Monsieur Pach

Reçu votre réponse quant à l’exposition. Je vous remercie du mal que vous vous êtes donné. Il ne s’agit pas, d’aucune façon, d’une affaire d’argent. Ici, les possibilités de vente se sont épuisées par la vente d’une douzaine de tableaux environ (11 inches × 14 : 50 piastres soit 25 dollars chaque.) Je n’ai aucun intérêt à garder cette cinquantaine de tableaux ici. Ils forment un groupe homogène ainsi qu’une série d’études et de dessins qui les ont précédés. Depuis, j’ai évolué tant que je suis actuellement à l’extrême opposé de ce style. Je vous sais d’autre part l’un des seuls amis à l’étranger qu’ils puissent intéresser. Je vous envoie donc le tout dans une caisse de 64 cm × 45 × 40 et 4 colis postaux. J’espère que cela ne vous embarrassera pas trop. Au prix que j’en demande (25 dollars chaque) je crois d’ailleurs couvrir les frais d’envoi (50 piastres environ) avec ou sans exposition.

De toute façon, s’il doit y avoir exposition cela aidera de les avoir sous la main, et s’il n’y a pas exposition ils seront mieux chez vous que dans l’armoire où je les range.

Quant à la demande du marchand de tableaux je crois que vous pouvez y accéder puisqu’il n’y a rien à perdre. Vous n’aurez bien entendu aucune responsabilité.

Pour le dessin faites ce qui vous semble bon (Je les vends ici à 20 piastres, c’est à dire j’en ai vendu 1 à ce prix.)

Je serais très heureux si vous choisissiez pour vous ce qui pourra vous plaire, dessins et tableaux.

Je vous envoie par courrier 4 photos de mes dernières œuvres. Vous verrez l’évolution. Je voudrais bien que vous m’envoyiez des reproductions de vos dernières choses, Diego et moi y serions réellement intéressés.

Je peins beaucoup et suis tourné vers l’avenir. C’est pour cela que je considère ce groupe d’œuvres passées comme ne faisant plus partie de moi-même et je puis m’en éloigner sans le ressentir.

Ci-joint la liste des peintures que je vous envoie et le nombre de dessins.

Inclus se trouvent les tableaux choisis par Mr Neumann, sauf : La lecture, et Tlamanalco qui sont vendus.

1 : Campesino

2 : Petatero

3 : Famille passant.

4 : Femme à Tlalpam.

5 : Femme à l’enfant (supprimé)

6 : Cargador

7 : Violoniste mendiant

8 : Ouvrier et paysan.

9 : Femme au panier

10 : Vendeuse d’orange

11 : Paseo de Xochimilco.

12 : Femme assise au petit mur.

13 : Marchande d’elotes.

14 : Bobette

15 : Paysage aux maguayes

16 : Femme assise, corsage cobalt.

17 : Portrait de Manuel Martínez Pintao, sculpteur

18 : Rebozo noir et blanc.

19 : Luz et Bobette.

20 : L’accident.

21 : Tête.

22 : Deux femmes.

23 : Femme debout au métate.

24 : Métate.

25 : Femme accroupie au métate

26 : Profil au corsage blanc.

27 : Tête.

28 : Dévotes aux scapulaires.

29 : Enterrement d’enfant Xochimilco.

30 : Femme à la fleur.

31 : Dame et papeleros

32 : Cheval.

33 : Le mariage.

34 : Marché à Amecameca.

35 : Nu en forêt.

36 : Nu dans un intérieur

37 : Tête.

38 : Eloge du rebozo.

39 : Confirmation des enfants

40 : Plaza.

41 : Nature morte aux cœurs.

42 : Paysage aux ânes : Chalma.

43 : Nature morte aux dés.

44 : Patio

45 : Danse religieuse : Chalma

46 : L’espérance.

47 : Nature morte à la sandía.

48 : Nu aux adobes.

49 : Acapantzingo.

50 : Cuernavaca : Eglise.

51 : Main.

Soit 50 tableaux (le no 5 est supprimé.)

Les no 1, 2, 3, 4, 6, 7, 8, et 11 en 4 colis postaux recommandés.

Le reste dans une boîte.

J’envoie aussi 91 dessins en deux colis-postaux.

Le no des tableaux est au dos, au crayon rouge.

Carlos Mérida[1] vous apporte, désarmés, 2 autres tableaux de 22 inches × 28.

Encore une fois merci et croyez à ma très sincère amitié, et mettez-la à l’épreuve si je puis vous être utile à quelque chose d’ici. J’en serais heureux.

Mes respects à Madame Pach.

Jean Charlot

P. S. : J’ai eu les pires ennuis pour l’exposition de Los Angeles, mes bons amis mexicains ne voulant pas me laisser exposer, comme étranger. Je crois tout cela arrangé maintenant, mais non sans difficulté.

# Notes de "Lettre 4"

  1. Carlos Mérida, 1891–1984, artiste guatémaltèque et pionnier stylistique du mouvement mexicain moderne.

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# Lettre 5

Sans date. Vers le milieu des années 1920

Cher Monsieur Pach,

A mon retour de Yucatan Diego m’a montré les photos de vos belles œuvres. Je vous en félicite sincèrement. Elles ont du style mais un style si subtil qu’il est difficile de le décomposer d’avec la vision directe. Les deux portraits sont des unités plastiques excellentes sans renoncer rien de la description. L’enfant nu, de même, est un tableau. Vous suivez avec fidélité les apparences anatomiques mais en les recomposant dans un langage plastique. Naturellement mon opinion n’a d’autre poids que mon instinct professionnel mais, luttant moi-même pour unifier plastique et description et oscillant de l’une à l’autre sans avoir pu m’équilibrer, je suis bien à même de juger l’élégance de votre solution, si aisée, qu’elle pourrait passer quasi inaperçue.

J’ai travaillé moi-même assez peu à cause de travaux de copiste qu’il m’a fallu accepter. J’approfondis quelque peu pourtant, mes idées en peinture et j’espère que mes dernières œuvres sont un peu moins pédantes que celles que vous connaissiez. Je vous envoie en même temps que cette lettre deux reproductions. Naturellement si vous voulez me les critiquer, et surtout en fonction de ce que vous connaissiez déjà de moi, je vous en serais reconnaissant. Vous êtes un peu mon « docteur de famille » m’ayant connu, comme peintre, dès ma naissance et bien malade, si j’ose dire.

Maman se joint à moi pour présenter à Madame Pach et à vous-même son meilleur souvenir.

Félicitations cordiales de votre ami

Jean

J. Charlot Mixcalco 12. Mexico. D.F.

# Lettre 6

Sans date. Avec image d’un autre artiste.

Carte de Noël

Mes meilleurs vœux pour Noël et le jour de l’An.

Jean Charlot

43 Colón, Mexico D.F.


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"La Jeune Peinture Mexicaine"
Note Bibliographique: "La Jeune Peinture Mexicaine," 1922
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